Les modes de scrutin des élections définissent les règles du jeu politique d’un pays. Il en existe de multiples et tous ont des défauts. Celui adopté par la France aux élections présidentielles en comporte de nombreux. Face aux records d’abstention, en changer pourrait-il être une piste ? Des alternatives permettant des résultats plus représentatifs existent, mais ont peu de chances de voir le jour.
Le mode de scrutin a une influence considérable sur le cours de l’histoire. Si aux élections présidentielles de 2007 la France avait utilisé le vote par approbation, François Bayrou serait devenu président. Et si, en 2012, on avait utilisé le vote préférentiel, c’est Jean-Luc Mélenchon qui aurait pris place à l’Élysée. Dans toute élection, il s’agit de faire consensus, d’élire le candidat qui rassemblera le plus. Un idéal qui n’est pas possible avec le scrutin majoritaire à deux tours que nous connaissons aujourd’hui en France. Pourtant, depuis 1958, c’est celui qui est choisi pour élire le président de la République, portant au pouvoir des hommes dont les mieux élus représentent 20% des Français (selon les votes du premier tour corrigés de l’abstention, votes nuls, et Français non inscrits). Le président en exercice, Emmanuel Macron, n’a ainsi reçu l’approbation que de 12% des Français selon ces chiffres.
Le principe est simple : les électeurs votent pour leur candidat favori et les deux candidats ayant récolté le plus de voix sont qualifiés pour un deuxième tour. Comme tout mode de scrutin, il a des défauts. Le fait de choisir un seul candidat a des effets pervers, comme le vote stratégique par exemple. Mais surtout, il force à choisir un candidat avec un programme, alors que les avis des électeurs peuvent être plus nuancés.

Pourtant, de nombreux systèmes de vote existent. Tous ne sont pas appliqués dans le monde, mais les expérimentations se multiplient pour trouver celui qui permettrait de trouver un candidat qui battrait tous les autres en face-à-face. Une des solutions serait de les classer. Deux scrutins le permettent : le jugement majoritaire et le vote par approbation. Le jugement majoritaire invite à noter les candidats de « à rejeter » à « excellent ». Ensuite, pour chaque candidat, il s’agit de regrouper tous les avis reçus sur une échelle allant de la meilleure appréciation à la moins bonne et de sélectionner celle qui se trouve au milieu de la jauge. Avec ce système, si tous les candidats recueillent une mention majoritaire inférieure ou égale à « passable », il est possible de décider de refaire une élection, car aucun candidat n’aura réellement satisfait les électeurs.
Avec le vote par approbation, les citoyens peuvent voter pour plusieurs candidats. Un vote est comptabilisé comme une abstention lorsque la personne n’a voté pour personne ou pour tout le monde. Pour désigner le gagnant, il faut faire la somme de tous les votes et voir qui en collecte le plus. Une autre option propose d’évaluer un candidat par la médiane de ses évaluations.
Quelle que soit la méthode, pour Raul Magni Berton, professeur de science politique à Sciences-Po Grenoble, « ce qui est commun, c’est qu’ils avantagent les deuxièmes choix, les candidats plus consensuels. Avec ces systèmes, il est difficile qu’un candidat qui plaît beaucoup à certain et est détesté par d’autres puisse être élu par rapport à quelqu’un que tout le monde aime bien, sans l’adorer ».

Pour montrer à quel point un scrutin peut changer les résultats d’une élection, le professeur a publié une expérience, Dérangeons la chambre. En se basant sur les résultats des élections législatives de 2012, il a modélisé ce que serait notre Assemblée Nationale en fonction de différents modes de scrutin. L’instance est soumise aux méthodes de vote italien, espagnol, anglais et hollandais, mais aussi au référendum local ou encore à l’abstentionnisme, qui serait le premier parti de France. Si les abstentionnistes étaient déjà nombreux en 2012, les dernières élections municipales – bien qu’organisées dans des conditions sanitaires inédites – ne sont pas de bons augures pour la suite. Alors comment faire revenir les électeurs aux urnes ? Changer de mode scrutin pour mieux respecter les choix des électeurs est une piste sérieuse. Mais est-ce seulement possible ? Raul Magni Berton est pessimiste. « Techniquement en France on pourrait le changer, il y a le Parlement. Mais c’est de plus en plus mal vu, car le mode de scrutin, ce sont les règles du jeu. Le fait que les joueurs changent les règles est généralement critiqué ».
Pour faire face aux critiques, la Colombie-Britannique, une province du Canada, a été l’une des premières en 2004 à proposer aux électeurs de réformer le mode de scrutin. Une assemblée citoyenne a été tirée au sort. 160 citoyens de la province ont été choisi au hasard pour proposer une nouvelle méthode. Après plusieurs semaines de travail, l’assemblée a proposé de passer du scrutin uninominal majoritaire à un tour au vote unique transférable. Un mode de scrutin qui permet de classer les candidats par ordre de préférence et garanti une meilleure représentation proportionnelle. Cette proposition a été soumise à un référendum quelques semaines plus tard. 58% ont voté pour le changement, mais le gouvernement avait fixé la « majorité » à 60%…

D’autres expérimentations ont eu lieu concernant les modes de vote : en Ontario, une autre province du Canada, mais aussi en Grèce ou en Irlande. Cependant, même si ces expérimentations ne peuvent pas être comparées – car le contexte social, économique et culturel est différent – à l’instar de la Colombie-Britannique, toutes n’ont pas été des succès. Yves Sintomer, professeur dans le département de sciences politiques de l’Université de Paris 8, analyse ce phénomène. Il met notamment en cause le processus d’apprentissage. « Plus les participants d’un mini-public apprennent au cours de leurs délibérations et plus leur savoir et leurs opinions peuvent différer de ceux des masses. Les dispositifs de démocratie délibérative les plus intéressants ont en conséquence tendance à différer davantage de l’opinion publique ordinaire que ceux de qualité médiocre ».
L’implication des citoyens dans le choix du mode de scrutin n’est donc pas gage de changement. Il faut alors que le plus de personnes s’expriment lors d’une élection pour tenter de s’approcher d’un choix qui conviendrait au plus grand nombre. Et donc rendre le vote obligatoire, comme en Belgique ? Pour Raul Magni Berton, il est délicat d’imposer cela aux administrés. Mais il pointe cependant un effet positif d’une telle mesure. « Ce sont toujours les mêmes qui ne votent pas : les jeunes, les pauvres, les peu instruits. Les politiciens le savent, donc ils ne font pas de politiques en faveur des jeunes par exemple, puisqu’ils ne votent pas. Ça a été testé sur 186 pays et quand il y avait vote obligatoire, le niveau de redistribution était plus important. Ça oblige les politiques à prendre en compte l’opinion de tout le monde ».