Le vote électronique peut-il mobiliser les Français de l’étranger ?

Comme un vieux serpent de mer, la discussion autour du vote électronique refait surface à l’aube de l’élection présidentielle et des législatives 2022. Alors que le taux d’abstention des Français de l’étranger dépasse largement les moyennes nationales (54% contre 22% à la présidentielle, 80,1% contre 57% aux législatives), ce mode de scrutin peut-il être une réponse aux casse-têtes géographiques et logistiques de ces 2 millions de votants ?

Valérie, expatriée en Inde depuis 10 ans, soupire d’avance. L’élection Présidentielle approche et elle se prépare déjà à une sacrée logistique : « Je prendrai le bus, le train ou l’avion pour aller voter au Consulat de Bangaluru car, dans la ville où je suis, il n’y en a pas… ». En 2017, la française, qui a toujours une conscience politique forte, a fait 8 heures de bus pour se rendre coûte que coûte au bureau de vote de Delhi : « Cette élection 2017 était importante, j’espérais pouvoir participer à un changement positif, envoyer un message face à la montée des extrêmes dans le monde. Au moins j’aurais essayé. ». Alfred*, lui, n’a pas eu autant de chance en Pologne en 2012. Il a fait plus de 6 heures de voiture entre Gdansk et Varsovie pour finalement arriver trop tard au bureau de vote. Mais l’éloignement géographique n’est pas le seul obstacle. En témoignent de longues files d’attente en 2017. Juliette, expatriée à Dubaï se souvient « Il n’y avait que deux bureaux de vote pour toute la ville. Rien que pour se garer c’était l’enfer. La queue était très longue mais il y avait une bonne ambiance ». Des récits comme ceux de Valérie, Juliette ou d’Alfred, il y en a beaucoup. Ces Français à l’étranger font partie des 1,7 million de personnes qui sont susceptibles d’aller voter en 2022. Aujourd’hui, leur seule possibilité de voter – lors d’une Présidentielle – est d’y aller physiquement, ou faire une procuration.

Pas assez de bureaux de vote ? Plages horaires trop restreintes ? Règles strictes imposées par le pays d’accueil, comme en Chine où l’on ne peut organiser le vote que dans des établissements consulaires ? Manque de bénévoles sur place ? Autant de raisons pour s’abstenir, se démotiver ou même, se désintéresser de la politique… En 2017, le ministère des Affaires Etrangères avait tenu à souligner les efforts du Gouvernement pour faciliter le vote à l’étranger : 866 bureaux de vote avaient été ouverts dans le monde, contre 780 en 2012.

Et si, en 2022, on votait de chez soi ? Selon un sondage Odoxa-Backbone publié en 2021, 78% des Français y seraient favorables. En 2017, le vote via internet faisait partie des propositions d’Emmanuel Macron pour « numériser notre démocratie, élargir la participation, réduire les coûts des élections et moderniser l’image de la politique ». Mais l’amendement déposé a été rejeté par les sénateurs en février 2021. Pas d’e-vote possible pour les Présidentielles. Et pour les Législatives alors ? Historiquement, il a été possible, pour la première fois, de voter en ligne depuis l’Etranger en 2012. Cependant, en 2017, en raison d’une menace élevée de cyberattaque, les Français à l’étranger n’ont pas pu voter sur internet. En 2022, la question est plus que jamais sur la table.

L’e-vote, une solution qui fait ses preuves ?

En 2012, le vote en ligne a été possible pour les Français à l’étranger. Il s’est déroulé sans incident. À cette occasion, environ 219 000 Français de l’étranger avaient voté, dont 54% par internet. Concrètement, il fallait se connecter à un site, s’identifier à l’aide d’un mot de passe reçu par mail ou par courrier, puis cocher le nom du candidat parmi une liste prédéfinie. Le contexte était favorable, la solution était validée et considérée comme fiable. De nombreux expatriés ont exprimé par la suite leur satisfaction sur les réseaux sociaux, comme Nathalie au Pérou : « D’avoir enfin l’occasion de voter est pour moi un devoir civique essentiel. Les législatives sont certainement une manière de voir si le système mis en place marche correctement. » Même son de cloche chez Josette en Ouganda : « Heureuse de faire partie des élections par internet, c’est le progrès, faisons confiance à notre système. » ou Guillaume en Australie : « Jusqu’à présent il m’a été impossible de voter pour des raisons logistiques. Je suis ravie. »

Ailleurs, la solution du vote en ligne fait ses preuves. En Estonie par exemple. À chaque élection, le pays propose, en complément du scrutin physique, le vote par Internet. Et le taux de participation est passé de 5,5% aux législatives 2007 à 43,8% en 2019 ! L’origine de l’e-vote date de 2004, au moment où le Gouvernement décide de créer une carte d’identité numérique pour tous les Estoniens. L’électeur peut alors scanner cette carte d’identité via un logiciel public ou recevoir ses codes de sécurité sur son smartphone. « L’exploitation du système est confiée à différentes organisations, ce qui permet de séparer les tâches et de réduire le risque de dépendance vis-à-vis du fournisseur », explique un rapport de l’OSCE en 2019. L’Estonie est-elle une exception ? En Europe, les pays restent frileux visà-vis du vote en ligne, mais certains étudient actuellement la solution comme la Belgique et la Suisse.

Un appel d’offres et des tests pour 2022

Pour mettre en place le vote par Internet pour les législatives 2022, un appel d’offres a été lancé en 2019 afin de répondre aux trois points primordiaux pour mener à bien le projet : sécurité, respect du secret du vote et sincérité. Après deux tests grandeur nature, la solution du vote par internet est en cours de validation.

Lors du premier test, près de 11 000 électeurs volontaires répartis dans le monde (représentant environ 1% du corps électoral) ont voté deux fois. Avec des résultats encourageants : les mails (avec l’identifiant) ont été délivrés à plus de 98%. Côté SMS (avec le mot de passe), 86% des votants l’ont reçu. Les SMS restants ont été bloqués dans certains pays comme la Russie, le Bangladesh, le Portugal et la Thaïlande. Les conclusions du second TGN, qui vient de se terminer fin janvier, ne sont pas encore officialisées mais Martine Schoeppner nous raconte : « Je n’ai pas entendu de problème particulier souligné. Généralement, il n’y 1 à 2% de variations entre les résultats du premier et du second test. Les remarques sont souvent liées à des erreurs humaines, ce qui peut être facilement réglé si on suit scrupuleusement les procédures. »

Le vote par internet menacé de cyberattaque, bugs ou d’influence

S’ils sont clairement identifiés, les risques restent bien réels. D’ailleurs, après un premier vote par internet en 2012 pour les Français de l’étranger, l’option n’avait pas été retenue pour 2017. Matthias Fekl, alors secrétaire d’État chargé des Français de l’étranger, avait « jugé préférable de ne prendre aucun risque de nature à compromettre le scrutin législatif », se basant des suspicions quant à la plateforme de vote, qui faisait l’objet d’un « niveau de menace extrêmement élevé de cyberattaques » selon l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques (ANSSI). En toile de fond, des soupçons sur un piratage russe.

Le contexte mondial reste une limite importante encore aujourd’hui, dans la mesure où, même si le vote par internet est bien homologué, les autorités s’autorisent à bloquer cette option de vote jusqu’au dernier moment. « Il s’agit d’élire nos Députés quand même », insiste Mme Schoeppner. Au-delà d’un risque de cyberattaque, les opposants au vote par internet avancent l’hypothèse que les technologies ne sont pas suffisamment matures pour supporter une élection à grande échelle, et assurer ainsi la sécurité des données des votants, notamment lors de pics de connexion. L’anonymat étant une condition essentielle du vote, le savoir en péril pourrait dissuader de nombreux français. Martine Schoeppner explique à ce propos que le ministère, lors des tests grandeur nature, tente des simulations d’attaques et de bugs pour voir si le système résiste. Par ailleurs, le Bureau du Vote Electronique a la possibilité de bloquer localement le vote si le doute de sécurité et de transparence est trop important.

Enfin, la question de l’influence est souvent posée : et si le votant subissait des pressions de la part de son entourage ? Comment éviter l’influence d’un tiers quand le vote ne se fait pas dans l’isoloir mais dans la sphère privée ? Difficile de répondre, même si certains leviers existent déjà. En Estonie, l’électeur peut modifier son vote jusqu’à la fermeture des urnes. Quoi qu’il en soit, Valérie, Alfred et Juliette sauront au printemps s’ils auront la possibilité de choisir un candidat depuis leur smartphone en juin 2022