Et si voter était aussi ludique que les rencontres ? Dans un contexte pré-électoral qui laisse augurer un nouveau pic d’abstention chez les jeunes, certaines applications tentent de connecter les 18-34 ans et la politique par le divertissement. En tête de gondole cette année, Elyze, qui se présente comme le Tinder de la présidentielle. Ludique, pensée pour les jeunes, peut-elle parvenir à relancer leur attrait pour l’élection ?
Tous les cinq ans, la France connait une intense période de campagne présidentielle. Et tous les cinq ans, le même problème se pose pour les électeurs, en particulier les plus jeunes : comment s’y retrouver parmi la myriade de candidats ? Un flou qui s’est accentué ces dernières années avec la création de nouveaux mouvements qui prétendent sortir du traditionnel clivage gauche-droite, et une succession de mandats qui ont brouillé les pistes pour les radars les moins construits. Résultat, cette année encore, plus d’un jeune sur deux (entre 18 et 30 ans) comptent s’abstenir lors des prochaines élections selon un sondage OpinionWay.
Si les jeunes se sentent oubliés par les candidats – qui dans un cercle vicieux centrent souvent leurs discours sur les électeurs les plus mobilisés – et donc restent loin des bureaux de votes, ils n’en sont pas moins actifs sur le plan politique. Selon Dorian Dreuil, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, les jeunes « sont politisés mais ne reconnaissent pas le pouvoir ni la politique en tant qu’institution […] Ils agissent par des canaux différents, comme les pétitions en ligne, les mouvements citoyens ou en repartageant des stories par exemple. » Le problème ne se situe donc pas dans le désintérêt de la politique en elle-même mais plutôt dans la façon d’appréhender l’évenement particulier de l’élection, avec ses rituels, ses candidats, ses programmes, et finalement relativement peu de politique en soi.
Une façon simplifiée et ludique de percevoir les programmes politiques
C’est donc au canal d’accès aux programmes politiques que les créateurs d’ELYZE, Grégoire Cazcarra, 22 ans et François Mari, 19 ans, se sont attaqués. Ils se sont basés sur un modèle qui parle aux jeunes : le système de sélection de la très célèbre application de rencontre Tinder. ELYZE fonctionne de la même façon. En entrant dans l’application, l’utilisateur se trouve face à une affirmation, par exemple : « Stopper les exportations françaises d’armes et arrêter la production d’armes ». Un onglet « EN SAVOIR PLUS » permet de connaître les détails de cette proposition, sans que le nom du candidat qui en est à l’origine soit toutefois donné. Si l’utilisateur est pour cette proposition, il swipe [NDLR : « balayer »] à droite ; s’il est contre, il swipe à gauche, exactement comme sur Tinder. Cependant, contrairement à l’application de rencontre, il existe sur ELIZE une option « Ne se prononce pas », qui s’opère en balayant vers le bas.

Au bout de cent réponses, l’application commence à cerner les opinions de l’utilisateur et lui propose un podium de trois candidats dont les idées matchent [NDLR : « correspondent »] avec les siennes. L’application ne s’arrête pas à trois candidats : elle délivre le pourcentage d’accord de l’utilisateur avec chacun d’entre eux.
Elle dispense également une fiche d’informations sur chacun des prétendants à la présidence. Les informations données restent dans l’aspect ludique global de l’application : on y apprend les films ou séries préférés des candidats, mais aussi des anecdotes insolites sur eux. Le but est bien évidemment de voir les candidats sous un jour moins conventionné, même si les programmes sont bien sûr donnés dans leur totalité. Pour la suite, l’utilisateur peut continuer de choisir parmi les propositions pour affiner ses résultats et obtenir l’indice de fiabilité le plus précis possible.
Des chiffres prometteurs
L’application est très populaire chez les jeunes. Moins d’une semaine après sa sortie, elle a enregistré un demi-million téléchargements, et pris la tête de l’Apple Store et du Play Store en France, passant devant TousAntiCovid, WhatsApp et même le géant TikTok. Selon un sondage, 60% des jeunes ont entendu parler de l’application, et 59% pensent que cette application peut être utile pour se décider. 19% déclarent même avoir trouvé leur candidat grâce à elle. Plus important encore, plus de 60% de jeunes interrogés considèrent que l’aspect ludique de l’application a pu lancer un intérêt qu’ils n’avaient pas, ou plus, pour la politique. À défaut de fournir une idée définitive du candidat pour lequel voter, ELYZE pousse les jeunes à s’intéresser un peu plus aux programmes.
Les données personnelles en question
Si ELYZE, par son aspect ludique et contemporain, a permis à une population très abstentionniste de s’intéresser aux programmes des candidats à la prochaine élection, elle reste ce qu’elle est : un divertissement. Les propositions sont énoncées très simplement, sans aucune précision sur les moyens d’une éventuelle mise en œuvre, ni même sur le contexte global dans lequel elle s’inscrirait. Aucune contrepartie ou conséquence potentielle de telle ou telle décision n’est expliquée. Un manque de clarté qui sans doute fait aussi écho au problème même de certains de ses programmes, avares en détails. Utile comme élément déclencheur de la réflexion, comme éventuelle boussole générale, elle nécessite un travail d’approfondissement pour peu que l’on prenne la question au sérieux. D’ailleurs, si la majorité des jeunes trouvent l’application utile et ludique, 80% d’entre-eux n’ont pas pour autant décidé pour qui ils voteraient – pour peu qu’ils votent.

Autre problème d’importance, plusieurs utilisateurs ont rapporté que l’application montrait des dysfonctionnements : en cas d’égalité des candidats, c’est toujours Emmanuel Macron qui arrive en tête du classement proposé. Les créateurs se sont défendus en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un traitement de faveur volontaire mais seulement quelques erreurs à corriger dans l’application.
En outre, la question des données se pose une fois de plus : que feront les créateurs des millions d’informations à caractère politique récupérées avec ce quizz ?
Reste que dans un contexte électoral marqué par l’abstention massive, Elyze, comme d’autres initiatives du même genre, a le mérité d’amorcer un intérêt pour la politique chez les 18-25 ans, et pourquoi pas de les attirer vers les urnes. Chez nos voisins européens, d’autres stratégies ont été mises en place, comme l’abaissement à 16 ans de l’âge minimum pour voter (Autriche ou Malte), le vote obligatoire (Belgique) ou le vote électronique (Estonie).