Valérie Depadt est maître de conférences en droit privé et conseillère de l’Espace éthique Ile-de-France. Spécialisée dans le domaine de la biomédecine, elle s’intéresse particulièrement à l’assistance médicale à la procréation, notamment à ses incidences sur le droit de la famille, ainsi qu’à la question de la fin de vie. Elle a été membre de la Commission Sicard, mise en place par François Hollande en 2012 pour mener une réflexion sur la fin de vie des personnes malades.
Pourquoi la Commission Sicard a écarté la thèse de l’euthanasie ?
Nous avons essayé de voir quels étaient les besoins et les demandes sociales et comment y répondre de la façon la plus adéquate en fonction de nos valeurs et principes fondamentaux. Et nous en sommes arrivé là.
Donc cette mesure a été écartée d’un point de vue éthique ?
Nous avons travaillé à la meilleure solution, ce n’était certainement pas une posture. Nous avons commencé travailler en nous disant « on verra bien », ce n’était pas une décision de départ. Et puis, il nous est apparu que la solution de la sédation terminale répondait au besoin et était moins violente.
Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), a réalisé une étude sur la pratique de la sédation profonde. Il en ressort qu’elle est mal appliquée, souvent car les soignants ne veulent pas, ou comprennent mal les attentes des patients. Qu’en pensez-vous ?
Certains médecins avancent qu’ils n’ont pas prêté serment pour « donner la mort », certains ne sont pas du tout d’accord avec le fait de baisser les bras. Mais on ne peut jamais faire consensus, surtout sur une loi aussi complexe et fragile. Il faut être très précautionneux, à la fois en légiférant et en l’appliquant.
L’arrêt des soins curatifs a longtemps été considéré comme l’échec de la médecine. On peut appeler ça l’échec, mais ce sont aussi les limites. Et quand on ne peut plus, ça doit se passer de la manière la plus douce et sereine pour le patient, en accord avec sa volonté, s’il est conscient. Depuis 2002 on a quand même changé de paradigme. Le patient est au cœur du dispositif et sa volonté aussi. On ne cesse de s’éloigner de l’ère du paternalisme où le médecin tout puissant décidait.
Est-ce que serait une bonne solution de faire comme en Belgique, où les médecins ne sont pas obligés de pratiquer l’euthanasie ?
C’est la clause de conscience. On pourrait l’imaginer. Maintenant moi j’ai un peu de mal avec ça, le but dans notre république c’est que tous les malades aient accès à des soins d’une qualité identique. S’ils se trouvent dans une région où huit médecins sur dix font marcher la clause de conscience, ça va être plus compliqué pour eux.
Après, c’est vrai que c’est une solution. Mais la question est de savoir si le médecin peut opposer sa clause de conscience à la volonté d’une personne en vie. Je n’ai pas la réponse. Sur ces sujets-là, on ne peut pas donner des réponses de but en blanc, chaque détail de la loi, de la législation, du cadre médico juridique demande à être très réfléchi. La clause de conscience c’est une possibilité, est-ce qu’il faut la permettre ? Je n’ai pas la réponse immédiate.

Cela impliquerait pour le malade de trouver un autre médecin ?
Oui, ce serait surement au médecin d’en trouver un autre, mais ce ne serait plus le médecin du patient. Et d’un autre côté, si le médecin ne veut pas le faire, il faut se dire que quand vous êtes à ce stade de fragilité extrême, je n’ai pas encore vu un patient en fin de vie aller chercher le juge des référés pour demander à appliquer la loi. Donc si j’ai un crédo à ce sujet, c’est la formation des médecins. Il y a peu de temps encore, les étudiants pouvaient faire tout leur cursus en fac de médecine sans voir un mort, sans affronter la question du décès.
Et je pense que la loi c’est bien, mais elle a ses limites et quand on est en fin de vie, c’est ce colloque singulier entre le médecin et le patient, qui dans les faits va primer car il doit être en pleine confiance. Et je crois avant tout en la formation des médecins pour ces questions-là. Car il y a aussi des demandes qui ne sont que des appels au secours, le patient va appeler la famille et changer d’avis, c’est très délicat. Et puis l’euthanasie on ne peut pas revenir dessus, la sédation non plus vous me direz. Je crois qu’il y a une chose essentielle pas assez poussée en France, c’est la formation des médecins dès les études, car il leur faudra des années pour s’aguerrir dans ce domaine.
Vous avez intégré les mesures anticipatives …
Oui ce sont des mesures très importantes (directive anticipée, personne de confiance), qu’on a du mal à développer en France.
Pourquoi selon-vous ?
À mon avis c’est culturel, on a du mal avec la mort et avec notre propre mort. On n’a pas envie de la regarder en face. Les directives anticipées, c’est anticiper le moment extrême. On a du mal à y penser, ça prendra du temps.
Aujourd’hui, vous avez la désignation d’une personne de confiance obligatoire quand vous êtes hospitalisé, mais ça ne vaut que pour une hospitalisation. En revanche, à n’importe quel moment de votre vie, vous pouvez sur un papier libre, nommer une personne de confiance qui prendra votre relai au cas où vous ne pourriez plus. Ce qui est important dans la personne de confiance et que les gens ne savent pas, c’est que depuis 2016, la désignation doit être signée par cette personne. Avant, c’était un acte unilatéral. Donc au moment où on en avait besoin, soit on ne trouvait pas la personne, soit elle n’était pas au courant, soit elle refusait, car c’est un rôle qui est lourd. Pour bien remplir son rôle, il faut savoir ce que voudrait la personne au cas où elle ne soit plus consciente et où il faudrait décider d’arrêt ou de poursuite des traitements. Il faut avoir abordé ce sujet avant.
La personne de confiance peut être appelée à tout moment, pas qu’à la fin de vie d’une personne âgée. C’est aussi l’accident d’un jeune motard : Que fait-on ? On le réanime en sachant qu’il va être lourdement handicapé ou on arrête ? Que voudrait-il ? En sachant que la personne de confiance ne donne pas son avis, elle prend le relai de la personne hospitalisée, elle ne prend pas de décision mais elle indique ce que l’autre aurait voulu. En tout cas c’est comme cela que ça devrait être. Après, quand je prends l’exemple de l’accident grave c’est un peu de la littérature. Dans les faits, les urgentistes agissent dans l’urgence et n’ont pas le temps d’aller chercher des directives anticipées. En général, on réanime quoi qu’il arrive et on voit après.
« Je sais que la loi ne fait pas consensus, beaucoup estiment qu’elle est entre deux rives. Ceux qui refusent l’euthanasie disent que la sédation en est une déguisée, et ceux qui sont pour disent qu’on ne va pas assez loin. »
Est-ce que des Français vont à l’étranger pour se faire euthanasier ?
Bien sûr. Il y a des personnes qui choisissent l’euthanasie et qui se rendent en Belgique. On avait cette écrivaine qui avait une sclérose latérale amyotrophique et qui a décidé d’aller en Belgique, on en a beaucoup parlé. Je travaille beaucoup en assistance médicale à procréation, en bioéthique en général, la loi a des limites frontalières, elle voit à l’intérieur de notre territoire, mais les pratiques n’ont pas de frontières donc de la même façon que des personnes partent aux États-Unis pour le GPA, d’autres partent en Belgique pour l’euthanasie. Je pense qu’il faut être très humble et être bien conscient que le franco-français a une portée aujourd’hui tout à fait limitée.
Quelle est la différence pour vous entre sédation profonde et euthanasie ?
C’est la grande question. En fonction des personnes, la réponse sera différente mais je vais essayer d’être objective. L’euthanasie c’est injecter un cocktail létal qui va faire que la personne va décéder immédiatement. La sédation profonde, on endort de façon profonde sans arrêt intermittent, et en général, comme on arrête l’hydratation et l’alimentation, la personne va s’éteindre… On pourrait dire naturellement mais bon, je vous laisse juge. Par exemple Vincent Lambert, ça a pris plusieurs jours, on ne sait pas ce qu’il a ressenti mais le corps souffrait et c’est insupportable pour les proches. Dans le cas de Vincent L., je pense que c’est assez spécial, ça dépend de ce que le médecin met dans la perfusion, mais je pense qu’ils avaient tellement peur d’être accusé d’euthanasie qu’ils y sont allés le plus doucement possible. Dans la majorité des cas, ça va plus vite.
Si les malades vont à l’étranger, est-ce car il n’y a pas besoin d’être aussi malade qu’en France ?
Oui car en France on doit être en fin de vie, ce n’est pas possible au début d’une maladie chronique. La sédation profonde peut être pratiquée dans certains cas, lorsque la personne est atteinte d’une maladie grave et incurable et surtout quand le pronostic vital et engagé à court terme, tout ça en présentant une souffrance réfractaire au traitement.
En France, pour accéder à la sédation profonde, on parle de souffrance physique ou psychologique, ou les deux ?
La souffrance réfractaire peut être une souffrance psychologique, généralement c’est lié, c’est une souffrance. La loi ne précise pas.
Est-ce qu’il y a souvent des procès dans ce genre de cas, comme pour l’affaire Vincent Lambert ?
Il y a aussi eu le procès de la petite Inès, les parents se sont opposés à ce qu’on arrête les soins. L’affaire Lambert c’est les médecins qui ont arrêté les traitements mais n’ont pas prévenu toute la famille. Donc les parents ont décidé de saisir le juge. Ça part d’une erreur. On a beaucoup parlé de l’affaire judiciaire qui pour moi n’est pas la plus intéressante. L’intérêt c’est est-ce qu’on peut mettre fin à la vie d’une personne qui n’est pas en l’état de décider parce qu’elle est gravement handicapée ? C’est ça la question que pose cette affaire. Alors là, je n’ai pas la réponse. Ce ne sont que des opinions, est-ce qu’une vie comme celle de Vincent Lambert vaut la peine d’être vécue ?

C’est compliqué au niveau national d’avoir ce type de débat…
Oui, c’est comme la GPA, ça déchaîne des passions car ça touche au cœur de notre intimité, d’ailleurs cette question plus que la GPA, car tout le monde y sera confronté un jour à la mort. Un consensus est très difficile. On est dans une démocratie donc un consensus total je n’y crois pas mais on respecte le majoritaire.
Pendant la crise du Covid, les généralistes n’étaient pas autorisés à utiliser le midazolam, pourquoi ?
On ne leur a pas donné les moyens de le faire. Il aurait fallu sortir un décret d’urgence mais bon on ne va pas le sortir pour trois mois… Et d’un autre côté, quand ils étaient confrontés aux souffrances de patients pour lesquels ils ne pouvaient plus rien faire, c’est compliqué, ils en auraient eu besoin. Le président des médecins généralistes, ou un médecin généraliste aurait surement pas mal de choses à dire. Je vous renvoie à la tribune de Didier Sicard dans le Monde.
Encore une fois, pour donner ce type de possibilité, il faut une formation bétonnée, ce qui me parait dur c’est de reconnaître l’appel au secours de la volonté réelle. Je ne suis pas psychanalyste ou psychologue mais dans la commission Sicard on a entendu les gens. Si j’ai appris une chose c’est aussi que le sursaut de vie existe. Beaucoup de personne l’ont, d’où la difficulté des directives anticipées. Les gens nous disent : « Si je suis dans un tel état, je préfère mourir ». Mais une fois qu’ils y sont, ils veulent vivre car leur vie a encore un sens. Sur des choses bien plus simple, on ne sait pas ce qu’on ferait alors pour décider de la fin…
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Je sais que la loi ne fait pas consensus, beaucoup estiment qu’elle est entre deux rives. Ceux qui refusent l’euthanasie disent que la sédation en est une déguisée, et ceux qui sont pour disent qu’on ne va pas assez loin. Moi je la trouve assez équilibrée, à condition d’être bien appliquée et donc par des médecins formés.
Les directives anticipées ont leurs limites car quand on est chez soi au coin du feu, c’est compliqué de se projeter. La loi ne sera pas revue dans le cadre de la loi bioéthique et on s’en sort pas mal pour l’instant. On a une loi qui date de 2016, le seul problème c’est que personne ne connaît ce texte. Je vous assure, je forme des notaires, qui même eux ne connaissent pas les directives anticipées, le mandat de protection future, la personne de confiance… En France, on ne connaît pas. Je pense qu’on a besoin de les développer, elles ont leurs limites mais quand même au moins désigner une personne de confiance. Car quand la personne entre à l’hôpital, elle est avec un proche qu’elle va désigner. Mais ce n’est pas le fruit d’une réflexion. Après le patient peut en changer à n’importe quel moment.
Le mandat de protection future est également une très bonne initiative mais encore faut-il le savoir. C’est un mandat que vous donnez à une personne au cas où vous ne seriez plus en état de vous gouverner. C’est patrimonial, personnel, vous pouvez organiser tout, de vos sorties à vos animaux de compagnie. Vous pouvez à ce moment désigner une personne de confiance qui n’est pas forcément le mandataire. Le problème c’est que ces mesures ne sont pas officielles. Les urgentistes par exemple, même quand ils ont la carte vitale, ne savent pas si la personne a laissé ou non des directives anticipées. On n’a pas de fichier. Il faut donc le savoir, ou alors les avoirs sur soi, mais bon qui a envie de se balader avec ses directives anticipées ? L’idéal serait que ce soit sur la carte vitale. C’est prévu mais bon.
Après je pense que notamment par rapport au mandat de protection future, on évite car on protège la vie privée donc on ne veut pas de fichiers car ils seraient accessibles à certaines personnes. Mais les directives anticipées devraient être accessibles rapidement et de façon certaine. Vous pouvez aussi les mettre dans votre dossier partagé. Je crois que ça se fait sur internet, c’est pour que vos médecins puissent tous accéder à votre dossier.
Si le grand public pouvait déjà savoir qu’il peut désigner une personne de confiance avant d’être à l’hôpital, qu’il peut rédiger des directives anticipées, qu’il suffit de les dater et de les signer (elles sont révocables à tout moment), qu’il peut rédiger un mandat de protection future et quels sont ses droits (droit d’arrêter les traitements, et si en fin de vie et souffrance droit à sédation), ce serait déjà pas mal.