Boite mail, concentré de pollution numérique

Le tout-numérique a eu un temps la part belle en matière de transition énergétique. Une époque révolue pour un secteur qui préoccupe de plus en plus. En ligne de mire : la dématérialisation des échanges grâce aux e-mails, promesse de la fin du papier et des impressions superflues. Virtuels par essence, on oublie facilement que ces messages électroniques sont pourtant devenus particulièrement énergivores. Pour amoindrir leur impact environnemental, de petits gestes suffisent.

Chacun des mails que l’on envoie, reçoit et stocke, pollue. Une donnée que l’on a vite fait d’oublier tant il s’agit d’un geste anodin de notre quotidien. Toutes les heures, ce sont en effet 12 milliards de mails qui transitent à travers le globe, soit 288 milliards par jour. Une moyenne alarmante, lorsque l’on sait qu’un message accompagné d’une pièce jointe rejette environ 20 grammes de CO2 lors de son envoi, ce qui équivaut à allumer durant vingt-cinq minutes une ampoule de 60 Watts. Si la pièce jointe est volumineuse, la production de CO2 peut même atteindre les 50 grammes. Le stockage d’un courrier sur un an, produit quant à lui environ 10 grammes de CO2. À l’échelle d’une année, un mail produirait alors en moyenne 30 grammes de CO2 à lui seul.

En cause, l’énergie consommée par les terminaux impliqués dans le transit et le stockage du courriel : les ordinateurs de l’expéditeur et du destinataire, auxquels s’ajoutent les divers serveurs conservant les données échangées. D’après le site Data center maps, on décompte pas moins de 8 843 data centers à travers le monde à ce jour. Des infrastructures voraces en eau, qui produisent des gaz à effet de serre en masse.

Qu’il soit adressé à une personne à l’autre bout de la planète ou à un collègue à quelques dizaines de mètres de vous, un email suivra toujours une trajectoire des plus complexes à travers le monde. Selon l’Agence de la transition écologique (ADEME), un courriel parcourt en moyenne 15 000 kilomètres entre son expéditeur et son destinataire, soit la distance entre Paris et le centre de l’Australie.

Pour une entreprise d’environ cent personnes, le trafic de mails annuel correspond à quatorze allers-retours Paris/New York en avion. Question trafic aérien, on notera d’ailleurs que le secteur numérique dans sa globalité produit 3,7% des gaz à effets de serre, quand l’aviation n’en génère que 2 %, selon les recherches de Laurie Marrauld, maîtresse de conférences et enseignante chercheuse à l’école des hautes études en santé publique (EHESP), plaçant le numérique devant le secteur aérien en termes de pollution. À ce rythme et sans changements radicaux, le numérique devrait représenter à l’horizon 2025 environ 12% de la pollution mondiale.

Une pollution qui pourrait être en partie évitée

Avec une moyenne de 39 mails reçus par jour, un Français à la main pour reprendre le contrôle sur cette boîte énergivore et la marge de manœuvre est plutôt large quand on considère que 60% à 70% de ces messages ne sont jamais ouverts. Pour ce faire, des gestes simples à mettre en place au quotidien existent.

  • Le mail le moins polluant restera toujours celui que l’on n’envoie pas. Se poser la question de l’utilité d’un envoi est donc la première chose à faire. Le contact humain reste à privilégier dans le cas de communication en interne et le téléphone peut être une bonne alternative.
  • Lors d’un envoi, il s’agit de cibler les destinataires et d’optimiser la taille des pièces jointes, voire, d’utiliser des sites de dépôt temporaire.
  • Installer un filtre antispam et se désinscrire des newsletters superflues constituent également de bonnes solutions pour lutter en amont.
  • Aussi, la suppression régulière des mails présente un intérêt majeur.

C’est d’ailleurs ce que propose l’application Cleanfox, l’une des premières à s’être lancée sur le marché Français en 2015. La start-up avance d’ailleurs des chiffres encourageants dans son rapport sur l’année 2020, selon lequel, si tous les Français supprimaient leurs mails non-lus, cela permettrait d’économiser 1,8 millions de tonnes de CO2 par an. « En 2020, un internaute Français a reçu en moyenne 4 635 emails promotionnels, avance Louis Balladur co-fondateur et CMO de Cleanfox. En partant de ce chiffre, si l’on considère qu’une boîte mail vieille de dix ans reçoit ce nombre de courriers chaque année, l’empreinte carbone de ces mails promotionnels sur dix années est de 2,5 tonnes de CO2. » De quoi reconsidérer l’impact de nos anciennes boîtes mails que l’on délaisse sans imaginer le désastre écologique engendré.

Cleanfox est une application gratuite, qui, moyennant l’accès à la boîte mail, propose de supprimer les indésirables qui ne seront potentiellement pas lus par l’utilisateur grâce à un système reposant sur des statistiques et l’intelligence artificielle. “Une fois connecté à votre boîte mail, Cleanfox est capable de faire la distinction entre les emails promotionnels et personnels. Suite à quoi l’application affichera uniquement les courriers publicitaires et les newsletters et proposera de bloquer ces messages, c’est à-dire les supprimer dès leur réception et d’effacer tous les anciens mails de cet expéditeur ou au contraire, de les conserver et de n’effectuer aucune action dessus”, explique Louis Balladur. À ce jour, Cleanfox regroupe environ 4,5 millions d’utilisateurs, ce qui lui a permis depuis son lancement de supprimer au moins 5 milliards d’emails, évitant ainsi l’émission de 50 000 tonnes de CO2. De plus, l’application s’est engagée aux côtés de l’ONG We Forest, opérant pour la reforestation, à travers un programme de parrainage selon lequel lorsqu’un utilisateur en invite un autre, un mètre carré d’arbres est planté dans l’un des projets auquel participe Cleanfox.

Si Cleanfox enregistre de bons résultats, l’application ne résout pour l’instant qu’une partie du problème lié aux emails : le stockage, ou la pollution dite “dormante”. L’entreprise ne s’attaque pas – ou plus, car elle l’a eu fait par le passé mais n’étant pas satisfaite des résultats, elle a décidé de revoir sa stratégie – aux mails en amont. Elle n’empêche ainsi pas la production de CO2 lors de l’envoi. « On reviendra probablement sur la question du désabonnement – concernant les spams et les newsletters – nous creusons des pistes pour l’améliorer, ce n’est pas quelque chose que l’on a complètement abandonné », reconnaît le cofondateur. À ce sujet, c’est encore à l’utilisateur de prendre ses responsabilités et d’agir pour limiter le nombre de mails non lus dans sa boîte.

Les services de messagerie écologiques

Puisque les mails ne disparaîtront probablement pas dans les décennies à venir, il est aussi possible de choisir de changer de service de messagerie au profit de boîtes mail écologiques. Il en existe de plus en plus, payantes, gratuites, fonctionnant à l’électricité verte ou réinvestissant leurs fonds dans des projets écologiques… Comme c’est le cas pour Posteo, un fournisseur de courrier électronique allemand qui fonctionne à 100% grâce à l’énergie verte produite par Greenpeace Energy ou encore de Lilomail, le service de messagerie du moteur de recherche solidaire éponyme, qui propose un système local de téléchargement des pièces jointes. Le Français Ecomail, quant à lui, agit sur l’hébergement de la boîte qui se fait dans le pays de l’utilisateur avec des serveurs basés au plus près de ces derniers afin de limiter les kilomètres parcourus par les courriels.

Si elles séduisent de plus en plus de personnes, ces adresses alternatives présentent néanmoins un petit inconvénient concernant la délivrabilité des messages. Les services de messagerie classiques ne reconnaissant pas toujours les adresses peuvent en effet classer automatiquement le mail dans les spams. Rien d’irrattrapable néanmoins, puisqu’il s’agit pour le destinataire d’autoriser la réception de vos mails et si cela n’est pas suffisant, il ne reste plus qu’à espérer que celui-ci passera lui aussi sur une boite mail alternative.