Allaitement : le sein-graal n’est pas français

Depuis plusieurs décennies, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’allaitement jusqu’à six mois. En France, le Programme national nutrition santé (PNNS), préconise quant à lui quatre mois d’allaitement exclusif au minimum. Pourtant, les Françaises allaitant leurs enfants ne le font qu’en moyenne durant trois mois. Entre les difficultés rencontrées avec la reprise du travail, les préjugés liés à l’allaitement en public et le manque de formation des professionnels de santé, la France a accumulé du retard en comparaison d’autres pays.

« La France se situe comme lanterne rouge en matière d’allaitement (…) en Europe, le peloton de queue est constitué de la France, de l’Irlande et de Malte », affirme Claude Didierjean Jouveau, animatrice à la Leche League France, une association d’information et de soutien à l’allaitement maternel. Pourtant, avec un taux d’allaitement à 71% à la naissance, on pourrait penser que la France n’est pas si mal lotie. Le problème s’inscrit en réalité dans la durée, à court et moyen terme, puisque dès le premier mois on constate une chute brutale des statistiques avec seulement un nourrisson sur deux nourri exclusivement au sein, puis un enfant sur quatre aux sixième mois. Comment expliquer ce phénomène ?

La reprise du travail à l’issue des trois mois de congé maternité pourrait être une piste. Quoique paradoxalement, ce sont les femmes qui reprennent le travail qui allaitent le plus longtemps. « Cela s’explique par le profil socio-économique et éducatif de femmes ayant opté pour l’allaitement, expose l’ancienne présidente de la Leche League. Dans les pays industrialisés se sont les femmes les plus diplômées, qui ont un travail, dans une catégorie socioprofessionnelle moyenne supérieure, qui allaitent le plus ». Concilier travail et maternité peut du moins s’avérer être un casse-tête.

La pause d’allaitement, un droit acquis depuis plus de 100 ans

Durant 25 ans, un congé d’allaitement avait été accordé aux femmes en France. Un avantage supprimé dès 1975, puisque l’allaitement maternel n’est pas considéré comme un motif valable pour prolonger le congé maternité postnatal. Celui-ci a donc été remplacé par une pause d’allaitement, caractérisé comme suit par le Code du travail : « Pendant une année à compter du jour de la naissance, les mères allaitant leurs enfants disposent à cet effet d’une heure par jour durant les heures de travail ». Cet amendement, voté en 1917 n’a néanmoins pas évolué depuis son adoption, menant les mères dans certains cas, à devoir batailler avec leur employeur.

Claude Didierjean Jouveau explique : « En 1917, l’idée était que l’enfant soit amené à la mère dans l’entreprise, de telle sorte qu’elle puisse lui donner le sein. Maintenant, dans l’immense majorité des cas, cette pause est utilisée pour tirer son lait. Nous avons eu dernièrement le cas d’une mère dont l’employeur refusait de lui accorder sa pause d’allaitement sous prétexte qu’elle n’allaitait pas à proprement parler en ayant recours à la tireuse ». Si ce genre de situation reste rare, le manque d’évolution de cet amendement représente néanmoins une faille exploitable à l’encontre des mères.

C’est d’ailleurs dans ce seul texte que l’allaitement est mentionné dans le droit français. En effet, celui-ci n’est nullement encadré par ailleurs : une situation qui peut, là encore, poser problème. Comme c’est le cas pour l’épineuse question de nourrir son enfant au sein en public, où subsiste un vide juridique. Autorisé, prohibé ? Techniquement, ce qui n’est pas caractérisé comme illégal est par essence toléré. Alors, comment justifier les agressions physiques et verbales que subissent certaines femmes allaitantes, comme cette jeune mère agressée récemment à Bordeaux pour avoir donné le sein à son fils de six mois dans la file d’attente d’un point relais ?

41% des femmes trouvent « embarrassant » d’allaiter en public

Pour pallier cette problématique, la députée LREM Fiona Lazaar a déposé le 15 juin dernier une proposition de loi visant à mieux encadrer l’allaitement. Parmi ses idées, on retrouve la promotion de l’allaitement maternel via des campagnes d’information, une meilleure protection des femmes lors de leur congé maternité, mais aussi la question de l’allaitement dans l’espace public, notamment via la création d’une délit d’entrave, puni par une amende de 1 500€.

Un projet qui ne convainc pas totalement Claude Didierjean Jouveau : « J’ai toujours dit qu’il n’y avait aucune raison de créer une loi pour autoriser l’allaitement en public, car il est difficile d’autoriser quelque chose qui n’est pas interdit. En revanche, créer un délit d’entrave, pourquoi pas. De plus, les agressions publiques sont rares, c’est généralement dans le cercle privé que les mères reçoivent des remarques », explique-t-elle. Pourtant, selon une étude de la marque de puériculture Lansinoh, menée en 2015, 41% des femmes trouvent « embarrassant » d’allaiter leur enfant en public.

99% des nourrissons Finlandais allaités à la naissance

Associé à de l’exhibitionnisme par ses détracteurs, l’allaitement en public place la femme dans une position à mi-chemin entre la mère et l’objet de désir. Un rejet culturel, qui n’est pas toujours vrai dans d’autres pays, comme en Scandinavie où nourrir son enfant en public « n’a rien de sexuel, explique l’autrice du blog Surviving in Sweden. Ce n’est pas parce que les Suédoises veulent que le monde entier voient leurs seins. C’est juste qu’elles veulent bien nourrir leur enfant sans être enchaînées à leur maison toute la journée ». La normalisation de l’allaitement en public et le fait de décharger les mères de la dimension charnelle de leur poitrine dans cet instant permet à 80% des mères norvégiennes d’affirmer ne pas être gênée à l’idée de nourrir leur enfant en dehors de leur domicile.

De manière générale, les pays scandinaves font office de bons élèves en matière d’allaitement, avec 99% de mères allaitant à la naissance en Finlande et 60% à six mois, tandis qu’en Suède l’allaitement à six mois atteint même les 72 %. Au-delà de l’acceptation du point de vue culturel, ces pays bénéficient d’une mobilisation gouvernementale forte sur le sujet, notamment via la marginalisation des campagnes publicitaires sur le lait artificiel et la mise en place d’un système avantageux de congés parental.

Mais les pays nordiques ne sont pas les seuls à s’engager de la sorte. En effet, au Brésil, les campagnes publicitaires pour le lait artificiel sont tout bonnement interdites. Mais cette politique ultra favorable à l’allaitement peut aussi être source de problème. En 2015, une campagne d’affichage sur les effets néfastes d’une mauvaise alimentation pour les mères allaitantes avait fait scandale par sa dimension culpabilisante. On y voyait des burgers et des frites épinglés sur la poitrine de femmes en train d’allaiter.

Aussi, toujours à l’échelle mondiale, il existe de nombreuses initiatives pour faciliter la vie des jeunes mères, comme au Japon où il existe des cabines d’allaitement dans plusieurs villes du pays. En Indonésie, une société de coursiers permet aux nourrices de réceptionner le lait que les mères tirent au travail. Plus proche de chez nous, la Belgique a investi ce mois-ci dans un banc d’allaitement, le tout premier dans le monde. Autant de solutions qui permettent aux mères de choisir l’option qui leur convient le mieux pour nourrir leur enfant : allaitement ou lait artificiel.