Numérique, santé, budget : quand les territoires accompagnent leur population

On vous emmène à Montpellier (34), à la découverte du Centre d’Expérimentations et d’Innovations Sociale (CEIS), un tiers-lieu, gratuit et accessible à tous qui se fixe un objectif : agir face aux inégalités sociales. Plusieurs projets y sont développés avec une multitude d’acteurs dans des domaines variés, du numérique à la santé en passant par la gestion du budget. L’idée est de fournir à la population un espace où elle peut bénéficier d’un accompagnement personnalisé. Pour les différents partenaires et acteurs du lieu, c’est aussi l’occasion d’expérimenter de nouveaux services. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Michel Calvo, adjoint au maire de Montpellier et Vice-Président du CCAS de la ville.

À quelle(s) problématique(s) du territoire votre CEIS répond-il ?
L’analyse des besoins sociaux a révélé plusieurs problématiques sociales. Nous avions un taux de pauvreté important, un taux de familles monoparentales élevé ce qui est générateur d’isolement social et notre offre d’action sociale n’était par répartie uniformément dans la ville puisque le centre-ville était moins dotée. Nous avons également un quartier d’implantation du CEIS plutôt composé de cadres, à la frontière d’un QPV.
De plus, nous avons pu constater les parcours d’inclusion sociale font appel à une multitude d’acteurs qui manquent de lisibilité pour les usagers et morcellent l’accompagnement proposé. Enfin, La fracture numérique (amplifiée par le COVID) était déjà bien installée. L’ensemble des procédures administratives sont dématérialisées, ce qui a engendré 2 conséquences sur les citoyens : Une nette augmentation du non recourt à leurs droits et des ruptures dans les situations administratives (absence de sécurité sociale, de dépôt de dossier de retraite…)

Comment vous est venue l’idée de le développer ?
L’idée du CEIS découle d’une volonté de notre institution et de ses usagers de diversifier les actions sociales du CCAS et les publics qu’elle vise. Nous l’avons remarqué en utilisant une méthodologie de projet d’établissement participative (world café avec les citoyens). Nous avions aussi une expertise de professionnels, travailleurs sociaux et une volonté d’accompagner les
publics les plus en difficulté en abordant la globalité de leurs problématiques et en prenant le temps de lever les freins sociaux.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
Tout d’abord nous avons dû mettre en place une réorganisation pour favoriser l’innovation sociale. Le projet d’établissement en collaboration avec l’ensemble des agents du CCAS, a fait émerger la nécessité de déployer des actions nouvelles et de diversifier les publics cibles de l’action sociale. Il a ensuite fallu créer une nouvelle direction. Le projet d’établissement a conditionné la nouvelle organisation des directions du CCAS ; une place importante a ainsi été donnée à l’innovation sociale qui s’est concrétisée par la création d’une nouvelle direction dédiée à l’expérimentation et à l’innovation sociale support du nouveau Centre des Expérimentations et de l’Innovation Sociale (CEIS). Puis nous avons pu concevoir et expérimenter des nouveaux dispositifs notamment le dispositif Unis’vers et les actions d’accompagnement aux démarches en ligne. Enfin nous avons pu emmenager dans le bâtiment d’une ancienne crèche municipale. Il avait été entièrement préparé par les équipes techniques du CCAS en adéquation avec les besoins. Le site a pu ouvrir dans la foulée.

Avec quels partenaires a-t-il été créé ?
Le milieu associatif a été sollicité pour la conception des actions numériques. L’association Les Petits Débrouillards a ainsi été associée depuis la phase de réflexion jusqu’à la mise en œuvre des différentsateliers. D’autres partenaires institutionnels ont aussi collaboré en amont des actions socio professionnelles : l’expertise de Pôle Emploi a été mise à contribution dans la mise en œuvre mais surtout dans le repérage des publics pour la conception de l’action Unis’Vers. Aujourd’hui, la stratégie partenariale du CEIS du CCAS est de développer des liens forts avec les acteurs locaux et de diversifier les types de partenaires. Sont associés à la démarche une cinquantaine de partenaires issus d’horizons multiples : des acteurs institutionnels Ville et Métropole (Cité Intelligente, médiathèques, direction de la culture, service cohésion sociale …), des administrations autour des actions d’inclusion socio-professionnelle (Pôle Emploi, chambres consulaires…), le milieu associatif et les entreprises qui élaborent et animent des ateliers, le Monde académique qui est une ressource pour innover (enseignement supérieur et recherche) et des acteurs du monde économique avec lesquels se sont développées des relations d’intérêts réciproques pour tirer parti de leur ressource (accord de consortium autour de la santé).

En quoi, est-ce une initiative qui vient compléter les projets du CCAS ?
L’expérimentation de ces différents espaces et projets permet de proposer aux publics du CCAS un parcours complet d’inclusion sociale et professionnelle. Les personnes viennent pour trouver des réponses à une ou plusieurs problématiques sociales et accèdent à une offre complète de services qui leur assure un accompagnement global et favorise des parcours « linéaires » d’inclusion socio-professionnelle.

Quelles sont les différentes activités que l’on y trouve ?
A l’intérieur du CEIS, les actions d’inclusion se déclinent autour de plusieurs plateformes.

La plateforme emploi permet l’expérimentation d’un parcours d’insertion socio-professionnel pour accompagner les personnes vers un retour à l’emploi tout en les aidant dans la résolution de leurs difficultés sociales. Plusieurs actions sont aujourd’hui expérimentées : Unis’Vers, un chantier d’insertion, un accompagnement social et professionnel vers les métiers d’aide-soignant et l’apprentissage du numérique à visée professionnelle à destination des publics réfugiés.

La plateforme numérique (labélisée Fabrique Numérique de Territoire) est espace permet d’accompagner et d’acculturer les citoyens à l’usage des outils numériques. Il participe aussi à la lutte contre l’isolement social en favorisant les rencontres dans un cadre convivial, accessible et créateur de liens. Nous devons faciliter les démarches en ligne par la mise à disposition d’un espace numérique. Il faut aussi des animations collectives tous publics qui captent « les exclus » du numérique par le biais d’activités pédagogiques, ludiques et conviviales.

La plateforme budget (labélisée Point Conseil Budget) où deux conseillères budget interviennent de façon préventive et curative auprès des publics qui nécessitent un accompagnement pour assainir leur situation financière ou pour le financement d’un projet.

La plateforme santé avec des séances individuelles et collectives où des professionnels du secteur médico-social proposent des actions de prévention.

Comment le Centre d’expérimentations et d’innovation sociale fonctionne-t-il ?
Sur un même site, les personnes accèdent à une offre complète de services qui leur assure un accompagnement global et favorise des parcours « linéaires » d’inclusion socio-professionnelle.

Pourquoi avoir proposé des actions liées à la fracture numérique ?
Aujourd’hui, l’usage régulier d’internet devient une obligation pour accéder à ses droits. Cinq millions de nos concitoyens, cumulant fragilité numérique et fragilité sociale, sont isolés face à cette exigence numérique et se retrouvent exposés à un risque rapide d’exclusion. Accompagner et à acculturer les citoyens à l’usage des outils numériques, lutter contre
l’isolement social en favorisant les rencontres et lutter contre la pauvreté sont les enjeux de l’inclusion numérique.

Vous avez évoqué plusieurs fois le dispositif Unis-vers, pour ceux qui ne connaissent pas ce dispositif innovant, pouvez-vous le décrire ?
Le dispositif Unis’Vers est l’une des actions d’accompagnement social et professionnel qui constitue un véritable parcours d’insertion.
Dans un premier temps, « Unis’Vers » propose une action de remobilisation en accompagnant des publics éloignés du monde professionnel. Il y a un travail collectif sur la recherche d’emploi mais aussi sur sa capacité à être acteur dans sa ville en se réappropriant l’offre culturelle, sportive et en
découvrant les instances de participation citoyenne. En parallèle, un travailleur social lève individuellement les freins périphériques et sociaux à l’emploi (logement, garde d’enfants, ouverture de droits sociaux, violence conjugale etc.). Il s’agit de proposer à des groupes de 15-20 personnes, de construire leur propre parcours à travers 5 espaces : multimédia, accès aux droits, emploi/formation, mobilité, culture/ sport/santé et loisirs. La dynamique enclenchée par ce dispositif à l’issue des 6 semaines, supposait que d’autres dispositifs prennent le relais pour que le parcours des publics soit linéaire.

Ce qui est le cas ?
Le CCAS a créé d’autres supports à l’emploi. Cela passe par exemple par Une remise en situation professionnelle via un chantier d’insertion polyvalent. Le CCAS porte un chantier d’insertion qui salarie 12 CDI dans des métiers « en tension » existants au CCAS (aide à domicile, agent technique, médiateur numérique, cuisinier). Mais cela peut aussi être un accompagnement vers le métier d’aide-soignant. Les EHPAD se retrouvent confrontés à des difficultés de recrutements du personnel médico-social. Pour répondre à la fois à une pénurie de main d’œuvre, mais aussi dans un souci d’accompagner des personnes en difficultés vers l’emploi, 14 contrats PEC sont déployés au
côté des aides-soignants dans les 7 EHPAD. Durant les 24 heures de travail hebdomadaire sur une période de 10 mois, les salariés ont l’occasion de tester un métier de façon opérationnelle, mais aussi de bénéficier d’une journée de formation hebdomadaire et d’un accompagnement social proposés par des professionnels du CCAS pour préparer de manière
efficace, l’entrée dans les écoles d’aides-soignants.

À quel public s’adresse-t-il ?
Les services sont prioritairement destinés aux personnes en difficultés sociales, résidant notamment dans l’ensemble des QPV de Montpellier et ceux situés à proximité Figuerolles, Gambetta. Ces difficultés peuvent renvoyer à des profils de personnes assez différents comme les personnes très éloignées de l’emploi, les publics Réfugiés, les familles monoparentales (enfants et parents) ou les seniors isolés.

Au-delà des services proposés pour les habitants, le CEIS développe une offre de services pour les entreprises du numérique, notamment les start-up montpelliéraines, venues faire évoluer leur recherche par l’implication des utilisateurs potentiels présents au CEIS. Si le tiers lieu commence désormais à être repéré par quelques entreprises, les partenariats en cours vont permettre de déployer d’autres actions.

Quelles sont les actions de santé menées au CEIS ?
Des professionnels du secteur médico-social proposent des actions de prévention par le biais de séances individuelles et collectives aux bénéficiaires des minimas sociaux (dans le cadre d’une convention de partenariat avec le Conseil Départemental de l’Hérault) ainsi qu’au public demandeur d’emploi. Par exemple, le parcours Santé bien-être propose une série d’ateliers thématiques axés autour du sommeil, du sport, de l’alimentation, en incluant des outils numériques pour favoriser la sensibilisation au monde du digital.

Quel a été le coût de l’initiative ?
Environ 100 000€ de prestations et le coût des salaires des 15 agents.

Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de la mise en place du projet ?
Je pense que la participation des habitants du quartier existe mais peut être améliorée. Je pense que c’est pareil pour la communication. Il y a un manque de visibilité du site. Son ouverture dans le quartier reste à
penser. Enfin il faut que nous réussissions à faire face à l’augmentation ds demandes numériques et à des situations d’illectronisme qui demandent un accompagnement quotidien dans les démarches.

Quels conseils donneriez-vous à un élu qui souhaite monter le même type de projet ?

Il faut appréhender les besoins sociaux du territoire et ne pas hésiter à réaliser un diagnostic de l’offre et de la demande sociale en y associant les forces vives. Il est nécessaire également de sortir de l’ambiance « administrative » et sociale du site en proposant un site agréable et en
favorisant les échanges et la convivialité. Cela oblige à déployer une approche globale de l’inclusion sociale Enfin, il faut accompagner les usagers en leur donnant une véritable place d’acteurs dans le cadre du
design public.

Comment l’initiative va-t-elle évoluer dans le futur ?
Nous avons espace qui va s’adapter aux usages L’ensemble des activités du Centre d’Expérimentations et d’Innovation Sociale est animé ou encadré
par des professionnels, travailleurs sociaux et médico-sociaux. Expérimentales, ces actions sont amenées à évoluer et à s’adapter aux besoins sociaux des usagers du site. Ce lieu « Pour » les citoyens doit évoluer « par » eux, en s’appuyant sur leur expertise d’usage. Cette dernière sera
transmise aux entreprises afin qu’elles puissent transformer des besoins sociaux en projets et tester des prototypes auprès des publics. Il s’agit de favoriser l’innovation ouverte, de partager les réseaux et d’impliquer les utilisateurs dès le début de la conception.

Le CEIS a actuellement une capacité d’accueil d’une centaine de personnes sur 900 m². Le potentiel architectural du site va être utilisé en lançant une opération de travaux de réhabilitation qui permettront d’adapter les locaux aux besoins sociaux grandissants. Un premier travail de repérage des
besoins réalisé par le programmiste a déjà permis de poser les jalons du nouveau CEIS. Un concours d’architecte actuellement en cours proposera un site qui s’intègre et qui s’ouvre vers le quartier. En deux ans, les actions menées dans le cadre du CEIS ont rencontré un vif succès et donné la preuve de leur pertinence avec un nombre croissant de participants. L’évolution de la fréquentation s’est fait particulièrement ressentir dans les actions liées à l’emploi et au numérique et a conduit à multiplier l’offre par deux depuis la rentrée de septembre 2019.

Le CEIS a désormais vocation à devenir un lieu « ressource et d’innovation » pour la ville qui viendra structurer un réseau local des acteurs de l’inclusion numérique. Il devra aussi incarner une nouvelle vision de l’apprentissage du numérique par le « faire ensemble », en créant des contenus éducatifs adaptés aux besoins et aux niveaux de chaque montpelliérain. Des actions hors les murs pour rayonner sur l’ensemble du territoire. Le CEIS, en étant associé aux institutions Ville et Métropole, s’appuie sur ces acteurs pour proposer des actions hors les murs. L’objectif étant d’une part d’aller in situ à la rencontre des publics, mais aussi de capter les habitants des QPV pour les faire sortir des quartiers et élargir leur territoire de vie.

Avez-vous obtenu des distinctions pour ce projet ?

Oui nous avons remporté le GMF prix Territoriaux (une nouvelle approche de l’action sociale portée par le CEIS) Du CCAS en 2020. Mais aussi un PRIX Territoria d’Or (2020) domaine d’innovation : Qualité de vie. Et enfin, le Label territoire innovant 2020 : prix inclusion numérique argent.