Répression, légalisation, soins : comment encadrer la consommation de drogue ?

Les politiques pour lutter contre le trafic et la consommation de drogues sont différentes dans chaque pays et suscitent de nombreux débats. En France, les gouvernements ont toujours opté pour la répression. Ce qui ne l’empêche pas d’être le pays de l’Union européenne où la consommation de cannabis est la plus forte chez les jeunes. D’autres voies existent pourtant, comme le montre notamment le Portugal.

En France, hormis l’alcool et le tabac, toutes les drogues sont considérées comme illégales. Pourtant, en 2019, les chiffres sur le nombre de consommateurs de substances psychoactives en France métropolitaine montrent qu’il y a 1,5 million d’usagers réguliers de cannabis, 600 000 usagers dans l’année de cocaïne ou encore 400 000 de MDMA et ecstasy. La France détient la palme européenne du pays où la consommation de cannabis est la plus élevée. 7,2 % des jeunes de 17 ans en consomment régulièrement.

Face à ce phénomène, le Gouvernement a toujours adopté une politique répressive. En 2017, 67 500 condamnations avaient été prononcées pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Les peines de prison étaient majoritairement données dans les cas d’infractions de détention-acquisition, celles d’usage étant sanctionnées principalement par des amendes. Pour désengorger les tribunaux, en 2020, une amende de 200 € a été mise en place sur tout le territoire, destinée aux personnes faisant usage de stupéfiants. Mais cette guerre contre la drogue est-elle réellement efficace ? Difficile à croire lorsqu’on constate que les chiffres de consommation régulière de cannabis et de cocaïne augmentent, que les trafics se répandent dans les rues et que même l’OMS et les Nations unies déclaraient en 2017 qu’il fallait « réviser et abroger les lois punitives qui se sont avérées avoir des incidences négatives sur la santé et qui vont à l’encontre des données probantes établies en santé publique. Il s’agit notamment des lois qui pénalisent ou interdisent […] la consommation de drogues ou leur possession en vue d’un usage personnel ».

Le Portugal, cité en exemple dans le monde entier

Le Portugal, lui, a pris un autre chemin dès 2001. Le pays était alors confronté à une situation sanitaire inquiétante en raison des consommateurs d’héroïne notamment. Les cas d’overdose se multipliaient et le VIH se répandait rapidement. Un groupe de neuf experts a été constitué pour réfléchir à des solutions. Parmi elles, une attention particulière à la prévention, au traitement et à la réinsertion des consommateurs. Des solutions qui découlent du fait que le groupe d’expert est parti du principe que la toxicomanie est plus un problème de santé et de l’ordre du social qu’un problème criminel. Depuis 20 ans donc, le Portugal a décriminalisé toutes les drogues. C’est-à-dire qu’il a dépénalisé, déjudiciarisé la consommation. Les lois de lutte contre les trafics sont inchangées et la consommation dans des lieux publics toujours interdite. Seul l’article sur l’usage personnel de substances est ici à l’origine de nombreux changements sociétaux.

Lorsqu’une personne est arrêtée en possession de produits stupéfiants, la police détermine si la quantité est supérieure à une consommation personnelle pour 10 jours. Si c’est le cas, la personne sera jugée via une procédure criminelle, comme c’était le cas avant 2001 pour tous les usages. Mais si cette quantité est inférieure, l’individu passe devant une commission de dissuasion de la toxicomanie. Les professionnels de santé, représentants juridiques et travailleurs sociaux qui la composent proposent ensuite des solutions adaptées à la consommation de la personne. Si elle n’est pas jugée addictive, un suivi psychologique est proposé. Dans le cas contraire, ce sera un traitement ou l’entrée dans un centre de désintoxication. Les consommateurs peuvent refuser, mais dans le cas d’une nouvelle arrestation, ils s’exposent alors à des poursuites judiciaires, lesquelles peuvent conduire à des travaux d’intérêts généraux, des amendes ou des obligations de soin.

Ainsi accompagnés, les consommateurs de drogues ne sont plus stigmatisés ni marginalisés, ce qui facilite les soins. L’impact de cette politique est largement quantifiable 20 ans après. Le Portugal a diminué par deux le nombre de consommateurs d’héroïne, tandis que le nombre de décès liés à a la drogue et les infections au VIH ont très fortement diminués.

D’autres suivent le modèle

Selon les chiffres et le ressenti des habitants, la politique portugaise semble fonctionner. En 2020, l’État de l’Oregon aux États-Unis a emboîté le pas et a décriminalisé toutes les drogues. Des centres sanitaires vont être construits pour améliorer l’accès aux soins et aux traitements. Pour financer cette politique, l’État va se servir des fonds utilisés précédemment pour les arrestations et les incarcérations ainsi que des recettes fiscales des ventes de cannabis, autorisées depuis 2014. Quinze États ont d’ailleurs légalisé la consommation de cannabis à usage récréatif, dont certains très conservateurs comme le Dakota du Sud ou le Mississippi.

En 2016, la sociologue Caroline Protais faisait un bilan au niveau européen dans un rapport intitulé : « Réprimer ou soigner ? Les législations européennes en matière de stupéfiants : état des lieux et évolutions ». Elle y détaille que « plus de la moitié des pays de l’UE ne sanctionnent ni l’usage ni les cas de détention ”mineurs” par des peines privatives de liberté : Allemagne, Bulgarie, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Italie, Irlande, Lettonie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, République tchèque et Slovénie. Cette modalité de traitement ne concerne toutefois que le consommateur de cannabis en Belgique, Luxembourg, Irlande, Royaume-Uni. […] À l’inverse, les législations de six pays prévoient des sanctions privatives de liberté dans le cas de l’infraction d’usage et de détention de drogue : Chypre, Estonie, France, Hongrie, Norvège, Suède ».

La France, entre répression et expérimentation

Loin de suivre ces exemples, la France a donc choisi d’instaurer une amende de 200 € pour les consommateurs, et a même reculer sur la question de l’orientation vers des soins. En passant devant un tribunal, le consommateur pouvait autrefois être dirigé vers des structures spécialisées, ce qui n’est donc plus être le cas. Mais bien que le Gouvernement actuel prône une politique répressive, le pays est obligé de trouver des solutions sanitaires quand la consommation devient problématique pour tous les habitants. C’est le cas notamment des consommateurs d’héroïne ou de crack, qui en plus de consommer dans la rue, peuvent laisser des seringues après leur passage. Un danger sanitaire pour les consommateurs, qui utilisent du matériel parfois usagé, et pour les riverains.

Ainsi, en 2016, deux salles de consommation à moindre risque (aussi appelées « salles de shoot ») ont été ouvertes à titre expérimental à Strasbourg et Paris. Cette dernière comptabilise près de 400 passages par jour. Le ministère de la Santé a déclaré vouloir développer ces dispositifs. Même si leur efficacité a été prouvée, il reste compliqué de les mettre en place face à la réticence de certains habitants. Aucune solution n’est simple à mettre en place quand il s’agit de lutte antidrogue, tant les critères à prendre en compte sont multiples et la désintoxication complexe. Pour autant, l’opinion publique semble de plus en plus se diriger vers des solutions d’accompagnement plutôt que de répression. En 2018, une enquête Ifop et Terra Nova montrait que 51 % des Français (contre 40 % d’une opinion contraire) seraient favorables à « une régulation et un encadrement du cannabis » qui fixeraient « des règles concernant sa production, sa distribution et sa consommation tout en maintenant son interdiction dans certains cas » (en l’occurrence, au volant, dans les lieux publics et pour les mineurs). Une ouverture maîtrisée, certes, mais un pas de côté par rapport au chemin suivi par la France jusqu’à présent.