Blockchain et électricité : solution renouvelable ou uberisation énergétique ?

L’impact environnemental de la production d’énergie est souvent source de débat. Difficile de trouver un modèle écologique et viable à grande échelle. Mais grâce aux nouvelles technologies, nous commençons à entrevoir des solutions. Certaines sont déjà mises en œuvre, comme l’utilisation de la blockchain au Bangladesh.

Si vous avez déjà entendu parler des monnaies virtuelles, comme le Bitcoin, vous avez aussi sûrement entendu parler des blockchains. Des technologies informatiques pas simples à appréhender, mais qui sont parfois qualifiées de « deuxième révolution numérique ». Si elles ont fait leur apparition avec les monnaies électroniques, elles sont utilisées dans de nombreux autres domaines aujourd’hui, et notamment dans l’énergie. Les blockchains ouvrent la voie à une nouvelle forme de consommation où les habitants peuvent devenir producteurs et consommateurs de leur énergie.

Dans son rapport publié en décembre 2018, la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les usages des chaînes de blocs donne la définition suivante : « Une blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie. » Cette technologie de stockage et de transmission d’informations fonctionne sans organe central de contrôle. À partir de là, on peut tout imaginer : des échanges d’énergie à l’échelle d’un quartier, d’une ville, d’une région, entre particuliers ou via l’intermédiaire de la collectivité.

Un réseau solaire entre voisins

Au Bangladesh, il existe encore de nombreuses zones reculées et agricoles, non reliées au réseau électrique général. Un problème pour les habitants, car cela ralentit leur développement économique et les éloigne du reste du pays, et du monde. Cela représente 17 millions de foyers, dont 3 millions disposent d’une installation solaire domestique. Seulement, impossible de stocker l’énergie excédentaire, alors que les voisins non équipés en auraient besoin. C’est à ce niveau qu’a décidé d’intervenir SOLshare. L’entreprise créée des réseaux solaires entre voisins. Son but ? « Fournir aux consommateurs ruraux un approvisionnement fiable en électricité tout en s’assurant qu’il est abordable pour les personnes qui sont même au plus bas échelon de la société, expliquent les fondateurs. C’est la flexibilité et la rentabilité de l’utilisation de l’énergie qui fournit l’ingrédient clé pour l’innovation et le changement menant au développement durable au sens large. »

Concrètement, ce sont des réseaux de partage solaire cyber-physique de pair à pair. Ils fonctionnent grâce à une plate-forme commerciale qui permet aux habitants de vendre l’énergie solaire excédentaire générée par les systèmes solaires domestiques à d’autres habitants, qui n’en ont pas. Les uns gagnent de l’argent, les autres ont accès à une électricité abordable. Les vendeurs d’énergie peuvent également choisir de garder l’excès d’énergie pour eux et de l’utiliser pour faire fonctionner des appareils supplémentaires comme une télévision ou un réfrigérateur.

Pour que tout cela soit possible, les utilisateurs sont équipés de trois outils. D’abord, un compteur d’électricité qui permet de transformer l’énergie du soleil et de la stocker dans une batterie. Il permet également le commerce d’électricité (avec un mode achat et un mode vente), la gestion de réseau intelligent, la surveillance à distance, le paiement d’argent mobile et l’analyse de données. Puis une application permettant de gérer les portefeuilles clients. Les informations de ces deux outils sont ensuite transmises au troisième : un site web qui collecte et analyse pour comprendre les paradigmes et les irrégularités du système. Les habitants équipés sont ainsi capables d’acheter et vendre de l’électricité. En 2021, SOLshare a développé 34 réseaux au Bangladesh et en Inde, ce qui équivaut à 5 000 personnes. L’entreprise souhaite toucher 350 000 ménages et petites entreprises au Bangladesh, en Inde, en Afrique subsaharienne et dans les îles du Pacifique d’ici 2026.

Dérives potentielles ?

SOLShare a remporté le concours annuel de l’énergie durable d’EIT InnoEnergy. Il récompense les start-ups qui développent des idées innovantes en matière d’énergie durable. Les juges ont trouvé que la solution crée « non seulement une expérience transformatrice pour les utilisateurs finaux, mais représente également une proposition commerciale plutôt rentable pour SOLShare elle-même, ajoutant qu’ils voyaient une correspondance plutôt rare entre l’impact et la rentabilité ». Il convient tout de même de se poser certaines questions, et notamment au sujet des dérives que pourraient provoquer l’ubérisation de l’énergie. Comme le rappellent très bien les fondateurs sur leur site internet : « la plus grande entreprise de taxis au monde n’a pas de taxis, la plus grande entreprise hôtelière au monde n’a pas de lits, à quoi ressemblera l’entreprise énergétique du futur ? Vous pariez que nous connaissons la réponse ».

La blockchain est une technologie transparente, vérifiable, partagée et sécurisée. C’est ce que s’accorde à dire les experts du domaine. Cependant, certaines potentielles attaques ont été identifiées par des chercheurs français. Cette technologie permet, en outre, de simplifier les échanges entre pairs et la gestion administrative de ce service. Enfin, elle réduit le coût de la facture énergétique. D’un autre côté, des questions restent encore sans réponses. Quels seront les impacts de la suppression des intermédiaires physique par la technologie ? Se dirige-t-on vers un « totalitarisme libertaire », comme conceptualisé par Michel Bauwens, le pionnier belge de l’économie du « pair à pair ». Ou va-t-on utiliser cette technologie de manière collective, dans le but de s’élever les uns les autres ?

Le fait est que de nombreuses expérimentations sont en cours partout dans le monde : en Belgique, en Suisse, en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis, et même en France. Dans le village de Prémian (34), la commune redistribue l’énergie produite par ses panneaux solaires à des commerçants et des habitants, grâce à la blockchain. Le projet est conventionné avec Enedis. Plus au sud, la commune de Prats-de-Mollo (66) s’est engagée dans une dynamique d’autonomie énergétique pour notamment, construire une gouvernance du réseau électrique avec une appropriation des citoyens.