La vie de nos médicaments ne s’arrête pas au moment où nous les ingérons. Ils poursuivent leur parcours dans les eaux usées, puis naturelles. Cette pollution est de plus en plus prise en compte par les pouvoirs publics, car elle occasionne des déséquilibres environnementaux. Mais limiter la pollution médicamenteuse est un exercice difficile et contraignant. En Suisse, les lignes bougent plus qu’ailleurs en Europe.
La pilule est le moyen de contraception le plus utilisé en France : 37% des femmes de 15 à 49 ans la prenait quotidiennement en 2018. C’est aussi, comme de nombreux autres médicaments, une source de pollution peu connue. Car une fois ingérée, la molécule se transforme en sous-produit : les métabolites. Ces résidus sont contenus dans les urines et les selles. Une fois la chasse d’eau tirée, ils se retrouvent mélangés avec les eaux usées et se dirigent vers une station d’épuration. Celle-ci va filtrer et traiter l’eau de différentes manières pour pouvoir la rejeter dans les eaux naturelles. Problème : des résidus médicamenteux s’y retrouvent aussi. Dans l’environnement, ils peuvent être transformés et donner de nouvelles molécules. On parle alors de sous-produits dégradés de l’environnement.
Ce phénomène rend les recherches plus compliquées, car il empêche le traçage des molécules chimiques présentes au départ dans les substances actives. Ce processus est valable pour la pilule contraceptive comme pour de nombreux autres médicaments : antibiotiques, antidépresseurs, anticancéreux et même pesticides et médicaments à usage vétérinaires. Un cocktail potentiellement dangereux dans nos eaux de surface (l’ensemble des masses d’eau courantes ou stagnantes, par opposition aux eaux souterraines). Pour le moment, il reste difficile d’évaluer la toxicologie des métabolites. Un seuil toxique pour l’un ne va pas forcément être le même pour tous. Ainsi, une substance en très petite quantité peut être aussi toxique qu’une autre substance présente en grande quantité.

En 2019, l’OCDE a publié un rapport estimant que 10% des produits pharmaceutiques comportaient un risque pour l’environnement. Dans le cas de nos pilules contraceptives, par exemple, des études font le lien entre leurs résidus dans les eaux et la féminisation des populations de poissons, en raison de la présence de certaines molécules dans lesdits résidus.
Les stations d’épuration en remparts
Pour lutter contre cette pollution majeure, les espoirs sont tournés vers les stations d’épuration, principaux remparts car lieux de traitement des eaux usées. Ces eaux sont traitées à trois niveaux différents pour pouvoir retrouver les milieux naturels comme les rivières. Mais même si la combinaison de ces trois phases de traitement diminue la part des résidus médicamenteux dans l’eau, ce n’est pas suffisant pour atteindre des seuils qui n’affectent pas les écosystèmes. Dans sa thèse sur les résidus médicamenteux dans l’eau environnementale, David Fradin explique : « Très peu de substances étudiées sont éliminées entièrement. Certains bêta-bloquants, tous les antibiotiques et certains antidépresseurs sont éliminés dans les STEP (STation d’ÉPuration des eaux usées, NDLR) à moins de 70 %. De plus, certaines substances se retrouvent à des concentrations plus importantes en sortie de STEP qu’en entrée. » Cela s’explique par la dégradation des substances initiales. Les traitements utilisés aujourd’hui dans nos stations d’épurations ne sont donc pas assez efficaces. 25% des médicaments étudiés ont une élimination inférieure à 30%.
Pourtant, des systèmes de filtration plus efficaces existent pour limiter cette pollution, mais ils sont très onéreux. Consciente que ses ressources naturelles, le Rhin et le lac Leman, sont une source d’eau potable pour des millions de personnes, la Suisse a décidé de moderniser une partie de ses stations d’épurations en ajoutant une filtration spécifique pour les micropolluants. 120 stations sont concernées sur 800, les plus stratégiques. Les travaux devraient se terminer en 2035. Ce projet a été chiffré à 1,2 milliard d’euros. Pour le financer, depuis le 1er janvier 2016, les habitants paient une nouvelle taxe de 9 euros par an, comme l’explique Actu Environnement, un titre de presse professionnel spécialisé sur les secteurs de l’Environnement. Cette taxe alimente un fonds national qui finance 75% des travaux de chaque station. Une fois les travaux réalisés sur leur station, les habitants n’acquitteront plus cette taxe, qui semble bien accueillie par la population. L’objectif est d’éliminer 80% des micropolluants quand seulement 20 à 40% le sont aujourd’hui.

Des solutions aux coûts élevés
Bien qu’efficace, les filtres pour micropolluants ne sont pas généralisables dans tous les pays et sur toutes les stations en raison du coût des travaux, encore trop élevé. En 2019, l’OCDE a proposé trois initiatives pouvant contribuer au contrôle des résidus pharmaceutiques en eau douce à moindre coût pour la société : améliorer l’évaluation des risques environnementaux et l’autorisation de mise sur le marché des produits pharmaceutiques, surmonter les obstacles pour faciliter la pharmacie verte et réduire les coûts liés à la collecte de données pour combler les lacunes en matière de connaissances. À ce sujet, aujourd’hui, en France, de nombreuses études scientifiques sont lancées afin d’établir l’impact de l’ensemble de ces molécules sur les cours d’eau. Mais elles sont très longues à mener, il faut compter entre 10 et 15 ans, et surtout, elles coûtent cher. Seulement, par manque d’argent, les recherches patinent.
En France, le Gouvernement mise sur la sensibilisation et la réduction de la pollution médicamenteuse à la source en incitant par exemple les usagers à rapporter leurs médicaments périmés en pharmacie, afin de mieux traiter ces déchets. Un Plan National sur les Résidus de Médicaments dans l’Eau (PNRM) a été lancé de 2011 à 2015, suivi par un Plan micropolluants de 2016 à 2021. Dans son rapport, l’OCDE conclut que « malgré son caractère non contraignant, le Plan constitue une première étape dans la préparation d’un ensemble plus vaste de politiques juridiquement contraignantes à l’avenir ». Justement pour l’avenir, les scientifiques tentent des expérimentations et réfléchissent à des solutions. L’une d’entre-elles serait la récupération des urines et des selles des patients, chez eux comme à l’hôpital. Car la population est vieillissante et se fait de plus en plus soigner à domicile, c’est notamment le cas pour les anticancéreux. Il conviendrait donc de créer des filières de traitement et de revalorisation de ces déchets. C’est l’objectif de Toopi Organics, une start-up française qui souhaite valoriser les urines pour en faire une alternative aux engrais agricoles.