L’habitat participatif permet à des personnes de se regrouper pour concevoir ensemble des habitations combinant logements privés et espaces mutualisés. Cette démarche citoyenne a connu son essor en France au XXe siècle. Ludovic Parenty, coordinateur national de l’association Habitat Participatif France, explique comment ces modes coopératifs se développent sur les territoires, tout en soulignant les freins concrets ou symboliques.
Quel est le rôle de votre mouvement ?
La genèse de ce mouvement c’est qu’il y a un certain nombre d’acteurs qui développent l’habitat participatif depuis une dizaine d’années. Ils étaient répartis sur le territoire et utilisaient les termes d’habitat groupé, autogéré, coopératif, etc. Ils ont commencé à échanger lors de rencontres nationales vers 2009/2010. Cela a permis de se mettre d’accord sur le dénominateur commun de ces démarches qu’est la participation, d’où le terme d’habitat participatif. Puis nous avons créé une association nationale qui fédérait des associations locales ou thématiques en 2013, et qui depuis 2019 fédère toutes les associations et tous les acteurs professionnels de l’habitat participatif, des citoyens et des groupes. Donc nous sommes un mouvement d’acteurs qui essaient de développer l’habitat participatif sur le territoire et plutôt sur la partie citoyenne. Mais nous avons toujours été dans une logique d’échange avec les pouvoirs publics, donc nous sommes en lien assez étroit avec les collectivités. Il y a aussi dans le monde HLM des réseaux d’acteurs et d’organismes qui souhaitent développer ce type d’habitat. Ces partenaires institutionnels sont importants pour le développement de l’habitat participatif. Nous avons également un rôle de plaidoyer et d’échange avec les services de l’État. Historiquement, le plus gros chantier était dans le cadre de la loi ALLUR en 2014 qui a instauré et reconnaît l’intérêt de cette forme d’habitat. Nous sommes toujours en échange par rapport aux questions qui se posent, nous plaidons sur la nécessité et l’enjeu de développer cet habitat, d’où par exemple la tribune que je vous ai faite passer.
Ce plan d’action vous l’avez remis aux acteurs que vous venez de me citer ?
Oui. Et même de manière plus large.
Vous avez déjà eu des retours ?
Nous venons juste de le faire, ça prend un peu de temps. Nous n’avons pas eu d’échanges directs depuis mais on a aussi envoyé à des associations d’élus qui regroupent notamment des élus de grosses agglomérations. On a besoin des collectivités. Puis, nous sommes en dialogue constant avec les services de l’État pour faire passer un certain nombre d’idée. Nous ne sommes pas les seuls à avoir fait des tribunes en cette période mais dans le cadre du plan de relance, on espère pouvoir faire en sorte que des mesures puissent être prises pour favoriser cette forme d’habitat.

Ce plan a été réalisé suite à la crise sanitaire ?
Oui, c’était déjà un peu dans les tuyaux mais c’est vrai que c’est à cette occasion qu’on a produit ce document. Même si les idées proposées ne sont pas nouvelles. Sur la question du plan de relance, si on veut être dedans, c’est maintenant qu’on doit faire des propositions.
Vous pensez que l’avenir de l’habitat est dans l’habitat participatif ? Comment vous vous positionnez là-dessus ?
On ne pense pas non plus que tous les logements doivent être sur ce format-là. Mais on pense que ça peut apporter beaucoup et que ça pourrait représenter une part significative des logements (en création mais aussi en rénovation) et que ça a un certain nombre de vertus d’un point de vue sociétal et écologique.
Vous me disiez que dès 2009 vous vous rejoignez pour réfléchir à ce type d’habitat, quelles évolutions constatez-vous ?
Oui dès 2009/2010, il y a tout un historique. Des coopératives ouvrières œuvraient déjà sur ces questions de logement. On peut revendiquer aujourd’hui cet historique mais les formes sont très différentes. Le renouveau du développement de l’habitat participatif date des années 2005/2010, où un certain nombre de structures se sont remobilisées sur la question. L’évolution va de plus en plus vite dans l’absolu, mais on est quand même sur des projets qui sont assez compliqué et long à mettre en œuvre, il faut la coopération de beaucoup d’acteurs pour que ça se fasse et nous ne sommes pas dans une progression en mode startup.
Aujourd’hui en France (je pourrais vous faire passer des statistiques qui ne sont pas tout à fait actualisées, mais qui donnent un ordre de grandeur), on a plus de 700 projets, 220 sortis de terre et une croissance entre 13% et 15% par an. L’enjeu dans les années qui viennent est de changer un peu de braquet pour faire en sorte que ça s’instaure dans le paysage de manière plus visible. Il est lié aux habitants, il faut la demande, et ils doivent être accompagné par les pouvoirs publics de différentes manières. Souvent, la maîtrise foncière c’est compliqué pour les groupes d’habitants, notamment en zone tendues, dans les villes attractives, il y a un enjeu à trouver du foncier et quand la collectivité n’accompagne pas les habitants, ils se retrouvent face à des promoteurs qui ont les moyens et savent comment faire. Ce qui se fait de plus en plus quand même, c’est que les collectivités qui s’engagent réserve du foncier pour des projets d’habitats participatifs et réalisent des appels à projet ou à manifestation d’intérêt pour proposer un projet au groupe d’habitant.
Quel est l’intérêt pour les collectivités ?
Les collectivités ont un enjeu à créer du lien social, des architectures dans lesquelles les habitants participent (car ils redeviennent citoyens et pas juste consommateur de la ville). Donc ça répond à des enjeux urbanistiques, mais aussi de société dont un certain nombre sont bien conscient. Certains élus politiques sont plus sensibles que d’autres à ces questions.
Chez nos voisins européens, cette forme d’habitat semble plus développée qu’en France ? Pourquoi ? Quels sont les freins ?
En France, nous avons été dans la logique de tous propriétaire. Le secteur du logement social était plus développé que dans d’autres pays, il y avait donc moins besoin d’habitat participatif. Les lois n’ont pas simplifié les choses, comme la loi Chalandon par exemple. En regardant à l’étrangers, notamment outre-Rhin, c’est reparti. La mentalité a joué mais pas que celles des citoyens, celles des institutions aussi. Il y a pas mal d’habitat participatif en Suisse, Norvège, RU, Belgique, Allemagne et Canada.

Dans tous les pays en développement, les questions se posent différemment, les règles d’urbanisme ne sont pas les mêmes. Il y a toute une notion qui existe autour de la production sociale du logement, notamment en Amérique du sud où il y a des mouvements assez importants. La problématique et l’origine sont différentes de chez nous, mais il y a bien l’idée que les habitants doivent participer à l’endroit où ils habitent. Il y a des endroits où cela se passe même de manière informelle, donc cela entraîne une réflexion des pouvoirs publics, ils se demandent comment régulariser. Car ça existe et ça a une valeur.
Y a-t-il un lien avec la pauvreté ? Car en France il y a eu une bonne politique HLM donc les gens pouvaient se loger, mais dans les autres pays où ce n’était pas le cas, les gens ont développé ce genre d’habitat ?
Ça peut être un de facteurs qui l’explique mais ce n’est pas le seul déterminant. Disons qu’en France on avait un modèle qui a été bien optimisé, et qui du coup, n’a pas facilité la diversification des modes d’habitats.
Quelles sont les principales difficultés en France pour monter un projet d’habitat participatif ?
Il faut identifier des fonciers disponibles, c’est rare qu’un immeuble soit vendu tout entier. Il peut y avoir un rachat progressif mais il est possible d’être en concurrence avec des promoteurs. Le problème se pose moins en zone rurale. Une autre difficulté inhérente à tout projet d’habitat, c’est le temps que ça prend. Les habitants s’y confrontent et doivent se projeter sur des opérations de trois ans minimum. C’est une difficulté d’avoir des habitants qui soient capables de se projeter dans trois ou quatre ans.
L’autre difficulté, assez classique, c’est le financement. C’est plus facile d’aller voir une banque pour acheter un logement classique dans une copropriété que d’expliquer au banquier qu’on va monter une coopérative d’habitant ou un projet d’habitat participatif en autopromotion sur des statuts juridiques que les banques ne connaissent pas. Il y a un enjeu à régler un certain nombre de détails techniques et opérationnels. Les banques, même si de plus en plus s’y intéressent et qu’on règle les problèmes au cas par cas, c’est le parcours du combattant pour réussir à faire financer ce genre d’opérations. Après, quand on travaille avec les organismes HLM, les logements locatifs sociaux n’intègrent pas forcément les outils de l‘habitat participatif, donc ce n’est pas facile de financer des espaces commun, ça pose des questions assez opérationnelles.
Ce sont à chaque fois les habitants qui font bâtir le projet ou ils peuvent aussi acheter un espace ?
Il peut y avoir des groupes d’habitants constitué, qui se connaissent ou pas. Un peu partout sur le territoire, des réseaux associatifs fédèrent les gens qui ont envie de ça, ce n’est pas forcément que des bandes de copains, c’est très variable. Ils portent ensuite leur projet, et là il y a plusieurs manières de faire. Ça peut être de l’autopromotion, le groupe d’habitant va se constituer en société pour acheter un terrain, prendre un architecte pour construire et contractualiser avec des entreprises.

Il y a aussi de plus en plus de cas de figure de partenariats avec des organismes HLM. Un des aspects sur lesquels on trouve qu’il y a un enjeu important c’est de faire en sorte qu’il puisse y avoir une mixité sociale et culturelle au sein de ces habitats. Donc travailler avec eux permet à chaque fois de faire de l’inclusion sociale mais aussi du locatif social ou de l’accession libre dans un même projet. C’est dans l’idée d’avoir des immeubles où les moyens sont différents. On va avoir une mixité dans les opérations qui créent du lien, du sens, ça permet de faire société.
Quand on travaille avec des organismes HLM, ou quand ce sont des collectivités qui sont à l’origine de l’impulsion du projet, on va plutôt constituer un groupe qui n’existe pas. Des accompagnateurs professionnels vont avoir la tâche d’AMO (Assistance à Maîtrise d’Ouvrage). Ils vont accompagner à la fois les partenaires du projet et le collectif d’habitant, pour réussir à faire en sorte qu’ils s’organisent concrètement, qu’ils sachent prendre des décisions en commun. Il y a besoin de faire du lien en général pour les acteurs qui interviennent. Car pour les organismes HLM et les collectivités, ça implique de changer des choses dans le logiciel. Donc souvent, il faut une tierce partie qui mette du lien, qui explique aux habitants quelles sont les contraintes qui se posent à eux, et qui permette aux institutionnels qui n’ont pas l’habitude de travailler avec des habitants, qu’il y a un enjeu à les écouter et à pousser les curseurs de la participation un peu plus loin. Donc voilà, ça peut varier en fonction des cas de figure, il peut y avoir des projets très différents. Certains vont être dans une logique d’accession, assez proche de la copropriété (même si en général il y a d’autres statuts juridiques mais ça peut arriver à un habitat participatif pour des questions opérationnelles), d’autres projets vont être dans une logique de copropriété collective, c’est le cas avec les coopératives d’habitant dans lesquelles on trouve la notion de propriété collective et de logement abordable, et de non spéculation foncière, etc etc.
Combien de foyers peut-on retrouver dans les habitats participatif ? Des HLM aux copropriété collective ?
Les opérations vraiment menées en autopromotion par un groupe qui se connaît c’est autour de 8 à 15 logements. Et sur des opérations avec des opérateurs HLM, pour que l’équilibre soit atteint (car il y a des contraintes dans les budgets d’opération des logements sociaux), il faut minimum 20/30 foyers. La cartoucherie à Nantes y’a pratiquement 100 logements.
Lorsqu’il y a une trentaine de foyers, on ne peut pas connaître tous ses voisins, le but pour certains n’est-il pas simplement de réduire les coûts ?
C’est très variable selon les gens, après il y a des projets qui permettent plus ou moins de se connaître. La logique reste de connaître ses voisins. Sur les 30 on va être plus proche de certains que d’autres, c’est une mini société, tournée vers l’extérieur. Il va y avoir des journées portes ouvertes en septembre, pour découvrir comment les habitats participatifs habitent leur quartier.

Est-ce que ce type d’habitat est vraiment moins cher ?
Souvent on dit ça pour l’économie d’échelle, évidemment ça coûte moins cher que faire construire son pavillon tout seul. L’idée n’est pas que ce soit moins cher mais plus qualitatif en termes de performances énergétiques, etc. Il peut y avoir un coût de construction plus cher mais sur lequel le coup d’usage sur la durée sera moins élevé. Et les espaces partagés représentent toujours environ 10% du logement.
Au niveau de l’entente entre les habitants, que constatez-vous ? Les gens développent vraiment du lien avec leurs voisins ?
Aujourd’hui si ça marche, que cet habitat se développe, c’est parce que derrière il y a un réseau, de l’entraide, de l’échange d’expérience entre les projets, des réseaux de gens croient en cette forme d’habitat et ses vertus. On développe des outils sur notre site pour mettre des annonces, permettre des rencontres. Pas mal de collectivités commencent à bouger donc des villes comme Nantes, Lille, Strasbourg proposent un certain nombre de terrains pour l’habitat participatif. Aujourd’hui il y a une vraie question qui se pose au niveau des seniors. Les personnes proches ou à la retraite qui envisagent cette forme d’habitat comme moyen de bien vieillir, ne pas être seul. On commence de plus en plus à travailler avec les caisses de retraites pour voir comment elles peuvent aider ce genre de projet à se monter.
Nous aimerions aussi développer l’habitat participatif dans les quartiers prioritaires, nous avons fait toute une étude action (à retrouver sur le site internet) qui montre les vertus que peut avoir cet habitat dans ces quartiers. Il y a un programme national qui s’appelle « action cœur de ville », nous essayons de nous inscrire là-dedans et de travailler avec eux. C’est l’ANCP (Agence nationale pour la cohésion des territoires) qui est une agence d’état et qui travaille sur ces questions des seniors aux cœurs de villes et du manque d’attractivité de certains territoires, et la question de la réhabilitation aussi.
Il y a aujourd’hui plus de projets qui se construisent sur du neuf plutôt que la réhabilitation. C’est plus compliqué pour les opérateurs classiques, il y a un vrai sujet en France je pense sur la manière de réhabiliter des logements. Et l‘habitat participatif peut amener des solutions car on peut créer des configurations qui s’adaptent à toutes les configurations. Donc on est aussi en train de proposer aux services de l’État de faire des expérimentations pour des projets adaptés aux villes moyennes en expliquant que ça peut redonner de l’attractivité à certains territoires et qu’on peut trouver des solutions sur des logements vacants à réhabiliter.
Ce sont les sujets sur lesquels nous sommes actifs. Tous les deux ou trois ans nous organisons les rencontres nationales, les prochaines seront à Lyon en 2021, ce qui permet de nous crédibiliser auprès des pouvoirs publics, puisqu’on travaille avec les ministères.