« Mettre notre énergie au service du club plutôt que de le regarder mourir »

Arnaud Thibault, l’un des initiateurs du Massilia Socios Club, rêve de voir l’OM appartenir à ses supporters. Mais après plusieurs années de discussions avec le club, le projet est au point mort. S’il admet que les socios manquent de soutien pour émerger en France, il reste convaincu que les clubs y trouveront dans le futur un modèle financier pérenne et pertinent.

Pourquoi avoir voulu tenter de mettre en place un système de socios à Marseille ? 

Car nous n’étions pas satisfait de la manière dont était géré le club. En janvier 2016, après le décès de son mari, Margarita Louis-Dreyfus était la propriétaire du club et Vincent Labrune était le président. Il avait une gestion suicidaire du club, nous le voyions mourir à petit feu depuis plusieurs années, et d’autant plus à ce moment-là. Nous avions des bonnes idées, on s’est dit : « plutôt que de rester dans notre canapé à regarder le club mourir, on va essayer de mettre notre énergie et notre savoir-faire au service de cette cause ». Donc avec Julien Scarella et deux avocats, on est parti dans cette aventure. 

À l’origine, vous étiez cinq fondateurs ? 

Oui sauf qu’aujourd’hui, il y a Julien et moi. Adrien Scotto est également près de nous mais les autres ont un peu abandonné. On est vraiment trois fondateurs qui continuent le projet.

Votre objectif était d’avoir 15 000 adhérents la première année, ce qui n’est pas le cas. Pourquoi les supporters mettent du temps, ont du mal à s’engager ? Comment vous ressentez les choses ? 

Il y a deux visions différentes. À la base, nous, on n’est personne. L’OM c’est toute une institution, si ce n’est la plus vieille entreprise française. Si vous en trouvez qui ont plus de 120 ans je suis preneur… C’est peut-être une des plus grosses marques françaises donc ce n’est pas rien. Et nous, nous sommes des gars qui lancent un projet comme ça. Il faut convaincre les gens de nous suivre, et c’est un gros travail. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou même ailleurs. Nous avons 3 500 adhérents et au moins 2 500 qui ont donné 80€. Cet argent, ils l’ont donné à des gens qu’ils ne connaissent pas pour aller poser un business plan sur le bureau du président de l’OM. C’est quand même énorme. Il faut les donner les 80€, aujourd’hui les gens ne roulent pas sur l’or. 

Donc on peut dire que beaucoup de gens nous ont suivi en participant financièrement, mais il y a également tous ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux. C’est quand même un projet que les gens veulent voir apparaître. Après, pour arriver à 15 000 payants, il faut le développer avec le club et pour lui. Une fois qu’il y a le label OM, il y a de la confiance et ça s’accélère. Ceux qui nous ont donné 80€ aujourd’hui, c’est les pionniers, après il y a tous les suiveurs, c’est une question de personnalité. Il faut que les leaders d’opinions disent « il faut y aller ». C’est notre stratégie, plutôt que de faire de la grande masse, attirer les gens en tapant dur. Nous on veut aller voir les personnes influentes pour qu’elles diffusent le message. 

« Les dirigeants de l’OM étaient plus dans la négociation que dans la co-construction. »

Vous négociez avec le club ? Comment ça se passe ?

On a été mis en relation avec le président de l’OM, Jacques-Henri Eyraud, via l’avocat qui a fait la transaction entre Margarita Louis-Dreyfus et McCourt, car lui trouve le sujet hyper pertinent et intéressant, donc il voulait savoir qui nous sommes, pourquoi on veut faire ce projet. Ensuite, il est allé voir le président de l’OM en lui disant que nous avions une belle idée et qu’il devrait nous rencontrer. C’est ce qui s’est passé pour la première fois en novembre 2017. Suite à ça, il y a eu d’autres rencontres en avril 2017, juin 2017, et après l’avoir vu trois fois, pour qu’il comprenne qui on est, sentir un peu le projet, si c’était sérieux ou pas… en juillet 2017, il a passé le bébé à ses équipes. Pendant deux ans, il y a eu des échanges pour construire le projet. 

Sauf qu’eux étaient plus dans la négociation que dans la co-construction. Nous voulions faire un projet gagnant-gagnant pour que ça marche, et in fine que ce soit aussi bénéfique au club. Mais eux étaient dans une négociation bizarre. Quand nous avions une réflexion de deux semaines sur un sujet, eux c’était deux ou trois mois, c’est pour ça que ça a duré très longtemps. Pour au final avoir des propositions de partenariat qui n’étaient pas en adéquation avec nos valeurs et nos idéaux. Donc nous les avons prévenus fin 2018, nous avons même fait un mail au président en disant que les discussions avec ses équipes ne fonctionnaient pas car les propositions n’étaient pas en accord avec les principes évoqué au début des discussions. Il nous avait répondu : « Ne vous inquiétez pas, nous allons trouver des solutions pour faire quelque chose de bien ensemble ». Il se passe trois ou quatre mois, nous on leur dit : « Attention, des gens nous ont donné 80€, ça fait deux ans et demi qu’on leur dit qu’on est en discussion avec l’OM, ça ne peut pas durer des années, à un moment donné nous on doit rendre des comptes aux gens qui nous ont donné de l’argent. » Donc on s’est mis d’accord qu’à une certaine date, si on ne trouvait pas d’accord, on rembourserait les gens*. On a dit au club qu’on restait à leur disposition s’il voulait monter un partenariat gagnant-gagnant. 

Donc vous avez remboursé tout le monde, il n’y a plus d’argent ?* 

Oui et non. Nous avions mis en place un système justement pour que les gens aient confiance, c’est sur des comptes séquestre via le Pot Commun. L’argent leur appartient toujours, ce n’est pas à nous, on ne peut pas le toucher. Il faut que les gens contactent le Pot Commun pour qu’il leur rende l’argent, en envoyant un RIB, car certaines cartes ont périmé entre temps. Nous diffusons régulièrement des messages pour que les gens aillent se faire rembourser mais il y en a plein qui ne le font pas. Certains nous disent même « gardez l’argent », mais ce qui est chiant ce qu’on ne peut même pas le toucher. Donc il faut que tout le monde récupère son argent et que le jour où on reprend les négociations avec le club pour mettre en place le projet, les gens reviendront nous voir, et redonneront de l’argent. 

Sur quels points vous n’étiez pas d’accord avec le club ? 

On voulait être des investisseurs passionnels. On investit notre argent dans des endroits bien ciblé au sein de l’OM. Comme tout investisseur, on ne veut pas une rentabilité économique mais des rentabilités sportives, ou autre. Un exemple : le centre de formation (il y avait plusieurs pôles comme ça). Le centre de formation on va le financer, ou une partie. Nous, les socios, on est une association avec un budget, on décide de mettre 30% de notre budget dans le centre de formation. En contrepartie, on veut qu’on nous présente un tableau de bord avec des objectifs et qu’on ait un droit de regard pour voir s’ils sont atteints ou pas. Concrètement, il y a tant de jeune pro qui signent par an, tant qui sont issus des clubs locaux, tant qui jouent régulièrement en équipe de France jeune, etc.

Donc on finance, et en contrepartie on a des informations et des droits de vote sur les actions à mener au centre de formation. Nous voulions aussi des avantages plus basiques qu’on aurait avec une carte de fidélité classique. Par exemple, avoir la priorité pour les achats de billet pour les gros matchs. Nous leur avons fait une liste de quatre pages avec des possibles avantages, et eux ont dit non, ils voulaient qu’on soit des sortes de mécènes. Nous on leur a dit que ce n’était pas possible. On voulait des contreparties, faire partie de la vie du club d’une certaine manière.

« Aujourd’hui, les gens ne sont pas à la tête des clubs pour le sport, pour le territoire, pour leur ville mais pour des intérêts qui n’ont rien à voir avec le foot. »

Selon vous, pourquoi ne veulent-ils pas vous laisser entrer dans la gestion du club ? 

On en revient toujours à la même chose, aujourd’hui, à la tête des clubs de foot, les gens ne sont pas là pour le foot, pour le territoire, pour leur ville mais pour des intérêts qui n’ont rien à voir avec le foot. Le Qatar n’en parlons pas, mais l’Américain McCourt c’est pas mieux. Lui, il est là pour quoi ? C’est la grosse question à Marseille, nous n’avons jamais eu la réponse. On se doute que c’est pour l’immobilier, ce genre de chose. Peut-être que l’OM c’est aussi une porte d’entrée pour l’Afrique, on ne sait pas. Nous on est des gens sains, puristes, on connaît Marseille, on connait le foot bien plus qu’eux, on connaît notre territoire, on est là pour l’intérêt de l’OM. Eux ont des intérêts divergents. Donc est-ce que c’est dans leur intérêt de nous faire entrer dans le club ? Je pense qu’ils sont réticents à donner du pouvoir pour avoir les mains libres pour faire ce pour quoi ils sont venus. 

Quel est votre objectif ? Qu’est-ce qui vous motive ?

Pour nous la base, notre raison d’être c’est pérenniser l’OM au plus haut niveau européen, ça veut dire être en 8e de finale de la ligue des champions tous les ans, tout en conservant son identité et sa ferveur populaire. En gros, on veut être en ligue des champions mais pas avec le modèle économique de Paris ou Chelsea, ces clubs horribles qui tuent le foot et son identité populaire, qui sont des clubs du foot business. À Marseille, ce qui fait l’OM depuis des décennies, ce n’est pas l’équipe et les joueurs qu’on a sur le terrain mais les supporters, la ferveur qu’il y a autour. Si on aime se retrouver ensemble depuis des années c’est parce qu’il y a cette identité, cette passion du foot qu’on retrouve dans le stade. Mais dans les clubs que j’ai cité ça n’existe plus car c’est la course au business, on a des stars sur le terrain, faut bien les payer, alors on augmente le prix des places, on met des mecs en costard cravate dans les tribunes comme à Paris et en Angleterre. On est en train de tuer le foot et ses valeurs. 

En Espagne et en Allemagne, ces modèles sont répandus. En France il n’y a pas vraiment de club qui fonctionne avec des socios…

Il y a Guingamp, mais nous ne sommes pas sur le même modèle. Ils sont actionnaires du club, mais il y en a 175 je crois. Donc 15 000 personnes ont mis 40€, et ils sont actionnaires ultra-minoritaires. Ils n’ont aucun pouvoir et n’aident pas économiquement leur club, pour nous ça n’a aucun intérêt. L’actionnariat c’est un moyen de pérenniser le système, ça permet de dire qu’on est là le jour où il y a une vente, ou un partenariat, c’est intéressant, mais ce n’est pas le fondement de ce qu’on défend.

Nous défendons un modèle économique, si on a 180 000 socios dans 10 ans (un club comme l’OM est largement capable d’atteindre ce chiffre) et si chacun d’eux met 10€ par mois continuellement (l’équivalent d’une pinte quand il va au stade) ça va faire entre 18 et 20 millions par an de recette, ce qui est loin d’être négligeable pour un club comme l’OM. J’ajouterai que McCourt n’a pas la possibilité de mettre ça parce qu’un club comme l’OM à l’ambition de jouer la ligue des champions, donc de respecter le fair play financier qui dit qu’une personne comme lui ne peut pas mettre plus de 10 millions par an. C’est 30 millions sur trois ans. Ce que demande le fair play financier c’est qu’un club, s’il met 1€ ça doit lui en rapporter autant, ça ne peut pas être un mécène qui vienne mettre de l’argent à perte. 

Les gens nous disent : « Oui McCourt devrait mettre plus de sous », nous leur expliquons que McCourt ne peut pas mettre plus d’argent, alors que nous, on pourrait, et de manière récurrente ! Parce que quand il arrive et met 200 millions pour un plan de relance, nous, on ne pourrait pas, mais le modèle une fois en place, il pourrait apporter de l’argent de manière récurrente. C’est un projet à moyen, très long terme. Ça permettra de pérenniser le club au plus haut niveau sur plusieurs années. 

Le problème, c’est que le fair play financier, beaucoup s’en foutent, le contourne. Le PSG c’est la plus grosse arnaque de ce point de vue-là. Un sponsor qui vaut 10 millions par ans, eux prennent 100 millions, et tout va bien : ils font du mécénat déguisé. C’est pour ça que les gens ne comprennent pas bien. Nous on lutte contre ça. 

« Ça ne peut plus tenir à un moment, la bulle va exploser d’une manière ou d’une autre. »

Pourquoi en France ce modèle économique a du mal à s’imposer ?  

En Espagne ils le font depuis longtemps, en France, je pense que c’est une question de culture au départ. Il faut quand même se dire qu’à la base on n’est pas un pays foot, même si on a les meilleurs joueurs du monde pour l’instant. Mais il ne faut pas se voiler la face, il y a peu de terres de foot, à part Lens, Saint-Étienne et nous. Les Allemands et les Anglais ont une vraie culture foot. Les Allemands sont plus intelligents, ils ont généralisé ça à tous leurs clubs. 

Pour vous, ce genre de modèle économique c’est l’avenir ? Pourquoi ? 

C’est obligé. On le voit avec le coronavirus, on demande de valeurs, du territoire, de la relocalisation. Est-ce que c’est normal qu’un pays à l’autre bout du monde, pour des questions de géopolitique achète un club de foot ? Ils s’en foutent de gens autour d’eux. Nous, on est là pour défendre nos couleurs, notre ville, ce qu’on aime. Les gens retournent vers des valeurs, des choses qui ont du sens, et là, le foot n’en a plus. On le voit, tous les clubs s’effondrent car on est dans une bulle économique. En plus il y a des règles comme le fair play financier qui bloquent le mécénat. 

Moi je suis convaincu que c’est le modèle d’avenir parce qu’aujourd’hui le business model ne fonctionne pas, à part le Bayern Munich, qui gagne de l’argent, tous les autres en perdent. Ça ne peut plus tenir à un moment, la bulle va exploser d’une manière ou d’une autre.

Pourquoi les clubs perdent autant d’argent ? 

Car il y a une logique économique qui n’est pas là. Les salaires sont trop élevés ainsi que les montants des transferts et les commissions des agents de joueurs aussi. Ils gagnent 100 millions, ils en dépensent 110, ça ne marche pas.  

À votre avis, quel effet va avoir la crise sanitaire et économique sur les clubs ?

Les joueurs et les agents ont intérêt à revenir dans le monde d’avant, où ils gagnaient beaucoup d’argent. Mais si on veut revenir à la logique, c’est à nous, les supporters, de les faire revenir à des chiffres raisonnables. Pour les abonnements dont les supporters n’ont pas pu profiter à cause du virus, on nous leur propose de faire un don. Mais on marche sur la tête ! C’est à nous, « aux pauvres », de faire un don pour payer des salaires de joueurs, d’entraîneurs ou de dirigeants d’entreprises qui sont surpayés… Cette crise sanitaire, et donc la crise économique des clubs qui va derrière, va peut-être permettre de remettre l’église au centre du village. 

*Le 16 janvier 2021, plusieurs semaines après cet entretien, le Massilia Socios Club a de nouveau communiqué auprès de ses membres pour que ceux-ci obtiennent le remboursement de leur don.