Depuis quelques années, les drones séduisent les collectivités. Pour la sécurité, le patrimoine ou l’aménagement du territoire, le drone constitue une véritable opportunité pour les pouvoirs publics. Au point de changer le visage des services sur les territoires ? Décryptage.
Cela fait maintenant plusieurs années que le drone n’est plus l’apanage de l’audiovisuel ou des particuliers. De plus en plus de professionnels prennent peu à peu conscience de l’atout que constituent ces aéronefs. « C’est une technologie récente, qui évolue rapidement, explique Olivier Mondon, responsable communication de la section Europe de DJI. Ce que l’on peut faire aujourd’hui, on ne pouvait pas le faire il y a dix ans. » Face au développement du marché professionnel, l’entreprise chinoise, leader mondial du marché des drones de loisir, a lancé sa branche « DJI Enterprise ». Le BTP et l’industrie ont rapidement saisi l’intérêt d’une véritable caméra volante, notamment pour de l’inspection d’infrastructures. « Que ce soit en terme de gain de temps, de sécurité et d’efficacité, le drone peut aujourd’hui être utile dans tout type de secteur » assure Olivier Mondon.
Protéger et secourir
Un intérêt pour le privé, mais aussi pour les services publics. Le drone constitue notamment un allié de taille pour les pompiers. « Je pense que les images du toit embrassé de la cathédrale Notre-Dame, diffusées en direct sur le parvis ont été pour beaucoup une vraie prise de conscience de l’intérêt des drones » estime Olivier Mondon. Une prise de conscience qui semble commencer à faire son chemin. À ce jour, un tiers des Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) sont équipés en drones. Le SDIS de Seine-Maritime a par exemple investi dans l’achat de trois appareils depuis 2017, dont deux d’entre eux sont équipés d’une caméra thermique. Première utilisation : les missions incendie. Frédéric Piano, référent départemental de la spécialité drone au SDIS de Seine-Maritime s’en est par exemple servi lors de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. « Le drone avait pour but d’avoir une vue d’ensemble du site et de repérer les points chauds grâce au capteur thermique. Ces informations nous ont ensuite permis de diriger les phases de déblai et d’extinction et de guider les équipes au sol par radio. »
Comme toute mission de secours, les images capturées sont ensuite transmises aux autorités chargées de l’enquête. En outre, le commandant des opérations de secours peut décider d’utiliser un drone sans accord préalable de la Préfecture. Cet outil encore nouveau, est utilisé en moyenne 30 fois par an, sur un total de 80 000 missions. Ce chiffre en apparence dérisoire, est pourtant en augmentation : « Cette année, nous sommes déjà à 35 utilisations au mois de juin » affirme Frédéric piano avant de préciser : « Le drone répond à des besoins très spécifiques. Il n’est pas indispensable au quotidien. Mais lorsque l’on en a besoin, on en voit les bénéfices. » À ce jour, ils sont une dizaine dans le département à être formés au télépilotage du drone. En plus d’être des pompiers à part entière, les télépilotes suivent la formation classique au télépilotage – qui comprend le certificat théorique délivré par la Délégation générale de l’Aviation civile, et une formation pratique -, et une formation spécifique réalisée en interne.

En plus des incendies, le drone est également utile dans d’autres circonstances comme la recherche de personnes disparues. La station de ski Val Thorens s’est par exemple équipée de drones avec caméra zoom et capteur thermique à cet effet. Mais les pompiers ont d’autres applications dérivées, comme l’appui aux équipes spécialisées en milieu périlleux, explique Frédéric Piano. « Il est par exemple possible, grâce à un crochet de largage sur le drone, de faire tomber près des opérateurs, un filin auquel est attaché une corde. Celle-ci sert ensuite à créer une tyrolienne, afin d’extraire une victime sur un brancard. » D’autres usages pourraient être envisagés à l’avenir selon Frédéric Piano, même s’il faudra être patient. « D’autres outils comme des capteurs de gaz ou des capteurs radiologiques sont actuellement à l’étude. Mais ce sont des outils encore assez onéreux et pas forcément adaptés aux drones que nous utilisons. » De plus, aussi rapide et efficace soit-il, le drone n’est pas prêt de remplacer l’humain, estime Frédéric Piano. « D’une part, ce type d’appareil ne supporte pas les fortes chaleurs, contrairement à un pompier équipé. D’autre part, l’intervention humaine est indispensable pour évaluer le sinistre de manière plus précise et ensuite intervenir ».
Étudier et préserver
Au delà de la lutte contre l’incendie, la catastrophe de Notre-Dame-de-Paris a illustré un autre intérêt du drone : la préservation du patrimoine. Quelques jours après l’incendie, les autorités françaises ont fait appel à la société Artelia pour faire un état des lieux des dégâts. C’est également le cas d’Iconem, qui a lancé avec Microsoft le projet « Open Notre-Dame ». Le but de cette initiative est de collecter des photos afin de modéliser l’édifice en trois dimensions et ainsi pouvoir faciliter sa reconstruction. Cette entreprise lancée en 2013 par l’architecte Yves Uberlmann est spécialisée dans la modélisation 3D du patrimoine. Elle utilise entre autre la photogrammétrie. Le principe est simple : grâce à des milliers de clichés pris sous tous les angles, les experts réalisent une copie conforme, précise au millimètre, d’un édifice menacé. L’entreprise intervient beaucoup au Moyen-Orient, et comme dans les autres régions, le drone est vite devenu indispensable à leur arsenal explique Xavier Gérard, chef de projets chez Iconem. « Nous sommes intervenus sur des sites comme Mes Aynak en Afghanistan, qui ont été sous contrôle taliban. Ce sont de vastes terrains minés, où il nous est impossible de nous rendre à pied. »
C’est donc un atout indispensable du point de vue de la sécurité et de l’efficacité. Le drone est aussi indispensable dans des pays où la situation est moins critique, ajoute Xavier Gérard. « Il nous permet d’atteindre des grandes hauteurs et de mesurer précisément un monument de plusieurs dizaines de mètres de haut. » Le but de cette opération est multiple. L’objectif premier est avant tout scientifique, explique Xavier Gérard. « Il s’agit de préserver la mémoire de ce patrimoine et de mettre ces données à disposition des archéologues ou des restaurateurs, afin qu’ils puissent travailler sur des sites auxquels ils n’ont plus accès. » Leurs clients ont des profils différents. Ce sont des musées, des collectivités publiques, des administrations locales, des universités, ou encore des grandes institutions. Grâce à eux, l’UNESCO dispose par exemple du plan d’une partie de la vieille cité de Mossoul en Irak, qui permettra de faciliter la reconstruction. L’entreprise travaille également avec l’Université de Lausanne sur le site de Palmyre en Syrie, qui a été détruit par l’État Islamique. À partir des éléments numérisés et de photographies antérieures à la destruction, les scientifiques espèrent pouvoir recomposer le site.

Mais l’intérêt de cette technologie, où le drone a un rôle essentiel, ne s’arrête pas là. « On s’est peu à peu rendu compte que nos modèles 3D pouvaient contribuer à valoriser le patrimoine aux yeux du grand public » raconte Xavier Gérard. L’exposition « Sites éternels », présentée au Grand palais fin 2016, projetait des modèles 3D sur les murs en y incrustant des documents d’archives et des photos. « L’idée était de créer une immersion et une implication émotionnelle du public afin de les sensibiliser à la préservation du patrimoine » explique Xavier Gérard. Ce nouveau « tourisme virtuel » répond à des enjeux divers, ne touchant pas uniquement le patrimoine en danger immédiat. En France, Iconem a par exemple modélisé le Mont-Saint-Michel, qui pour l’instant n’est pas menacé. « Mais on ignore ce qu’il peut advenir du site, notamment face à la menace de la montée des eaux » prévient Xavier Gérard. Le modèle du Mont-Saint-Michel a ainsi été présenté dans une expérience de réalité virtuelle au musée des Plans-Reliefs à Paris et dans un musée à Seattle. L’entreprise, qui s’est fixé un objectif de 300 modèles 3D, a déjà numérisé 200 sites.
Les archéologues ne sont pas les seuls à s’intéresser aux drones. Des glaciologues du CNRS utilisent ces appareils pour mesurer la fonte des glaces. Nicolas Hebert, président de la société de drones professionnels Escadrone à Grenoble, en équipe certains : « Les drones leur servent à cartographier les glaciers, et ainsi mesurer le déplacement ou la fonte des volumes, d’un mois ou d’une année à l’autre. » Les volcanologues de l’Observatoire de Physique du Globe à Clermont-Ferrant, également équipés par Nicolas Hebert, en ont un autre usage. « L’intérêt pour les vulcanologues est d’aller faire des prélèvements dans les nuages toxiques dégagés par les volcans. C’est le seul moyen qu’ils ont pour récolter ces échantillons. » Au Guatemala, le volcan très actif Fuego est surveillé par les universités de Cambridge et de Bristol. Grâce à des drones qu’ils ont eux-mêmes mis au point, les ingénieurs et les volcanologues peuvent mesurer en temps réel la température ainsi que l’humidité des nuages volcaniques. Ils peuvent ainsi prédire l’activité du volcan et protéger les 60 000 habitants de la zone à risque. Le drone a également intégré l’arsenal des ingénieurs agronomes. Le projet Phénome, développé par l’Institut national de la recherche agronomique, a pour objectif d’équiper la France de plateformes de phénotypage pour améliorer les processus de sélection variétale. Des drones sont programmés pour parcourir et étudier l’évolution de micro-parcelles. Grâce à ces mesures, les chercheurs peuvent comparer le comportement de variétés de blé face à un stress hydrique et analyser leurs performances.
Nourrir et soigner
L’usage du drone en milieu agronome ne se limite pas à la recherche. Des drones sont aujourd’hui utilisés pour cartographier les champs et mesurer le taux d’azote par exemple. « Cette technique permet de surveiller des parcelles de terre sans les abîmer, et ainsi pratiquer une agriculture de précision, où l’on ne traite que lorsque c’est nécessaire », explique Olivier Mondon, qui ajoute également que certains pays comme la Chine utilisent déjà des drones pour l’épandage et la semence. Le drone offre également de nouvelles perspectives pour la gestion des forêts publiques. Depuis le printemps 2019, l’Office national des forêts a formé une dizaine de télépilotes. Le drone leur permet ainsi d’avoir une vision globale des sites forestiers et de repérer les parties malades ou envahies par des mauvaises herbes. La cartographie leur permet d’optimiser les plans de gestion des forêts et de constituer une base de données afin d’étudier l’impact des phénomènes climatiques comme les sécheresses ou les tempêtes. L’appareil leur sert également en cas d’incendie à avoir une vue d’ensemble de la situation.
Autre application du drone : la santé. À Zanzibar des scientifiques développent une possible solution pour lutter contre le paludisme. Des drones pulvérisent sur les rizières un liquide non toxique et biodégradable, afin de tuer les larves de moustiques, principaux vecteurs de la maladie. Cette application encore à l’essai n’est pas la seule permettant de contribuer à améliorer la santé publique. Dans certains pays en Afrique, des lignes autonomes de drone ont été créées entre des hôpitaux et des laboratoires d’analyse afin de contourner un trafic très dense. « La compagnie Zipline délivre des médicaments essentiels, des poches de sang ou des vaccins dans des endroits très isolés au Rwanda », ajoute le Président d’Escadrone, Nicolas Hebert. Plus largement, la livraison par drone est également à l’essai en France. La Poste a lancé deux lignes régulières dans le Var et en Isère. Ces lignes permettent d’effectuer des livraisons plus rapidement dans des zones peu accessibles. L’engin peut parcourir jusqu’à 15 kilomètres et porter jusqu’à 2 kilos, à une vitesse de croisière de 30 km/h.
Surveiller et observer
L’appel d’offre publié par le ministère de l’intérieur le 12 avril en témoigne : Le drone est également de plus en plus prisé par les autorités. Après beaucoup d’essais ces dernières années, le gouvernement passe à la phase de déploiement. D’un montant de plus de 3,5 millions d’euros, le contrat prévoit l’achat de 650 drones. Là aussi, les applications sont multiples. Selon Nicolas Hebert, qui équipe des compagnies de gendarme en Isère, «l’utilisation va principalement être de l’observation. Des groupements d’observation vont agir en support avant intervention afin d’obtenir des informations ». Un appui déjà utilisé lors des attentats de Paris en novembre 2015.

Le drone est également de plus en plus utilisé dans la gestion du trafic routier, notamment pour de la constatation visuelle d’infraction comme le franchissement de lignes blanches ou le non respect des distances de sécurité. Mais ils ne contrôlent pas encore la vitesse, explique Nicolas Hebert. « Pour l’instant, nous avons la capacité de constater des excès de vitesse mais pas de les mesurer avec suffisamment de précision pour l’appréciation légale. »
Regard sur l’avenir
Après s’être immiscé chez les vidéastes, les particuliers et les professionnels, le drone est également plébiscité par les acteurs publics. À ce jour, les engins sont principalement destinés à de la captation de données (images, mesures, …). Mais d’autres évolutions sont envisagées, dont certaines sont déjà à l’oeuvre. Selon Nicolas Hebert, dont la société Escadrone accompagne les professionnels dans l’utilisation du drone, « le prochain pas à franchir sera que le drone réalise lui-même des actions ». L’interaction entre les engins, qui fonctionneraient en « flottes » pourrait elle aussi trouver des applications. Ensuite, les drones réussissent pour l’instant des tâches en autonomie mais qui doivent être pré-programmées.
Réduire peu à peu l’intervention humaine est un autre défi. Un défi technique certes, mais également sociétal. Car en plus des éventuels problèmes concrets, de tels outils pourraient radicalement changer le visage de la société et notre rapport à la technologie. Face à un tollé médiatique, Google a par exemple mis fin en 2018 au projet Maven, développé avec le Pentagone. Ce contrat d’un montant initial de 7,8 milliards de dollars, était destiné au développement de drones militaires autonomes, contrôlés par de l’intelligence artificielle. Mais avant que l’on en soit là, analyse Nicolas Hebert, « il faut d’abord améliorer la capacité d’un aéronef à comprendre son environnement et à évoluer dedans ». Selon lui, « cela peut arriver d’ici cinq ans ».