Deuxième plus grosse émettrice de gaz à effet de serre, l’industrie textile est l’une des plus polluantes, tous secteurs confondus. Elle est, en outre, souvent génératrice de conditions de travail désastreuses. Face à ce système, des alternatives se développent : marque éco-responsable, recyclage, seconde main… Mais sont-elles vraiment plus écologiques et sociales ?
Pour mieux comprendre l’impact négatif de l’industrie textile sur notre environnement, il faut remonter sa chaîne de production. Jusqu’au tout début. Et à l’origine des matières dont on fait nos pantalons, chemises ou autres t-shirts, on trouve trois matières premières. Les synthétiques, comme le polyester ou les fibres recyclées de bouteilles en plastique. Les naturelles végétales, comme le coton ou le lin. Les matières d’origine animale, comme la laine ou le cuir.
Toutes comportent de sérieuses limites. Les synthétiques sont fabriqués à 70% à partir de pétrole, une énergie non-renouvelable. Le coton est la matière première végétale la plus utilisée, mais sa culture nécessite beaucoup d’eau. À cause de l’irrigation des champs, la mer d’Aral, située entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, a perdu la moitié de son étendue et les trois-quarts de son volume.

La matière première d’origine animale pose des problèmes éthiques évidents. En témoignent les scandales à répétition concernant les élevages d’animaux à fourrure comme les lapins ou les visons. De plus, le tannage, qui consiste à transformer la matière en cuir ou en fourrure, est un procédé qui utilise des produits chimiques. Les rejets d’eaux usées polluent ensuite les cours d’eau, comme la rivière Buriganga au Bangladesh, pourtant toujours utilisée par les habitants.
L’industrie de la mode a un impact sur les populations qui vivent à proximité de ses sites, mais aussi sur celles qui y travaillent. Les méthodes utilisées pour teindre ou donner un aspect délavé aux vêtements sont très nocives pour la santé des ouvriers et des ouvrières. Employés par des usines sous-traitantes, ils ne possèdent généralement aucune protection sociale. Et bien souvent, elles se trouvent dans des pays où le code du travail n’est pas le même qu’en France. Les salaires sont bas et les conditions de travail très dures. Le monde a ouvert les yeux sur ce phénomène en 2013, après l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh. L’immeuble abritait plusieurs ateliers de confection pour des grandes marques internationales comme H&M ou Zara. Bilan : 1 134 morts et 2 500 blessés.
« 12 000 marques se revendiquent éthique. Moins de 1% peuvent prétendre à notre cahier des charges »
Une fois le vêtement terminé, il est acheminé dans un autre pays, pour être vendu en boutique. Le coût environnemental des transports s’ajoute à la longue liste des désastres de cette industrie. Mais ce n’est pas terminé, il reste une étape, qui va se répéter souvent, et qui pollue encore, cette fois nos océans : le lavage à la machine à laver. Les microparticules de plastiques présentes dans les vêtements ne sont pas filtrées par les machines ni les stations d’épuration, car elles sont trop petites. Elles se retrouvent donc directement dans les océans. On estime que 500 000 tonnes de microparticules de plastique sont relâchées chaque année dans les mers, soit l’équivalent de plus de 50 milliards de bouteilles en plastique. Elles sont si petites que les poissons les ingèrent – et par extension ceux qui mangent ces poissons également.
Les marques éthiques, un impact positif et des limites importantes
Dans ce contexte, certaines marques ont décidé de produire autrement. Elles sont de plus en plus nombreuses chaque année à se définir « éco-responsable » ou « éthique ». Des engagements chers aux Français. Pour 65% d’entre eux, c’est un critère de choix important dans leurs actes d’achat. Mais le manque d’information de confiance sont des freins tenaces au passage à l’acte. Pour aider les consommateurs à s’y retrouver, Thomas Ebélé et Éloïse Moigno ont créé Sloweare, un label qui référence les marques éco-responsables.
« Aujourd’hui 10 à 12 000 marques se revendiquent éthique, et je pense que moins de 1% peuvent prétendre à notre cahier des charges. Par exemple, le groupe de potes qui décide de faire des t-shirts pour sauver les girafes. Ils vont contacter un fournisseur pour avoir des t-shirts en coton bio, ils vont faire une petite broderie, un partenariat avec un artiste, etc. C’est sympa, mais ils ne s’approprient pas une chaîne de valeur. Ils ne connaissent pas l’origine de leur matière première, ni les parties les plus importantes du processus de transformation : l’égrenage, le lavage, le filage, la teinture du coton. De nos jours, il peut y avoir jusqu’à 17 intermédiaires », explique Thomas Ébélé. Depuis trois ans, Sloweare a labellisé 70 marques. Mais le certificat n’est pas acquis, à chaque nouvelle collection, les marques doivent repasser les tests. Elles répondent à 250 questions en moyenne, et doivent fournir des justificatifs. « Nous ne validons pas un produit mais une démarche », précise le fondateur.

Mais à quelle condition une démarche est-elle considérée comme éthique ?
Kevin, créateur de la marque de chaussure N’go Shoes, préfère utiliser le terme écoresponsable. L’utilisation de cuir dans certains de leurs produits n’est pas éthique pour des personnes véganes, le curseur diffère en fonction des valeurs de chacun. Kevin et son associé, Ronan, ont décidé de fabriquer leurs baskets au Vietnam car le pays est un spécialiste de la production de chaussure, et Ronan connaissait bien le pays, pour y avoir travaillé deux ans dans une ONG. Il est alors retourné sur place pour trouver les différents fournisseurs. Ils travaillent avec les Thai Blanc. « C’est une minorité ethnique du Vietnam comme il en existe une cinquantaine dans le pays, chacun ayant sa propre culture et ses propres traditions. Nous leur amenons les bobines de tissu, qui viennent aussi du pays, et c’est la coopérative d’artisan et ses ouvrières qui fixent le prix. »
Grâce à ce système, elles ont une rémunération juste et ont pu développer leur activité en créant de nouveaux métiers à tisser et en formant de nouvelles femmes à ce savoir-faire. Aujourd’hui, 2% de leur chiffre d’affaires trimestriel est reversé à une association locale. Ils ont ainsi pu financer quatre écoles dans des provinces du Vietnam, dont la dernière à 75%. La marque est également partenaire de Zéro Waste Shoes, qui permet de recycler les chaussures lorsqu’elles ne sont plus utilisées. La démarche est sincère mais Kevin assume ne pas encore avoir trouvé des alternatives à tout, et favorise parfois « des questions de solidité et de confort » au détriment de certains engagements.

Reste le transport pour rapatrier les chaussures terminées en France. Il équivaut à 2% du coût environnemental d’un vêtement. Un taux faible, mais qui aurait pu être évité avec une production française. Est-ce possible de nos jours ? Selon la réglementation, « le produit prend l’origine du pays où il a subi la dernière transformation substantielle ». Nous pourrions alors utiliser du lin, notre pays est un très gros producteur, mais il n’y a pas d’usine de filature sur notre territoire. Il faut donc aller en Italie ou en Pologne. Finalement, le vêtement voyage en Europe.
En outre, un t-shirt en coton bio Made in France, peut-être fabriqué avec du coton en provenance d’un autre pays. Dont le créateur de la marque n’a aucune idée des conditions de travail des ouvriers. Il n’existe qu’un seul producteur de coton en France. Situé dans le Gers, il se sert lui-même de sa production pour créer ses polos, 100% fabriqués en France. Avec un prix fixé à 95€, ce qui reste le premier frein à l’achat. « C’est difficile d’expliquer qu’un t-shirt à 20€ ce n’est toujours pas assez cher. Quand on veut des matières durables, bien finie, bien coupée et qui nous vont, il faut augmenter les grammages, faire travailler du personnel qui a une vraie compétence et trouver un atelier de confection qui accepte de produire seulement 300 unités », explique Thomas Ébélé.
Les grandes marques et le greenwashing
Un système de production à contre-courant des grandes enseignes de la fast-fashion – qui est à la mode ce que le fast-food est à l’alimentation -, lesquelles produisent jusqu’à 24 collections par an, avec des t-shirts basiques à 5€. Mais à l’heure des prises de conscience écologiques, leur image de marque est en jeu et chacune cherche à se “verdir”, quitte à tomber dans le greenwashing, et à travailler autour d’une communication qui ne reflète pas la réalité. Thomas Ebélé lutte contre ces pratiques qui induisent en erreur et découragent le public à changer de modes de consommation. « C’est important de décortiquer le discours. En septembre dernier, H&M a communiqué en disant que leur collection Conscious était fabriquée avec des matières éco-responsables. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce n’est pas parce que le fil est bio, que le coton est bio que c’est responsable. Si l’agriculteur n’a pas été bien rémunéré, si les personnes qui ont fait la filature, la teinture, le tricotage ne l’ont pas été non plus, je ne vois pas en quoi la matière peut être éco-responsable. »

Le fondateur de Sloweare insiste aussi sur le fait que « les marques ne doivent pas seulement dire qu’elles vont faire mieux, mais doivent faire mieux ». Communiquer longtemps sur une potentielle amélioration future, c’est du greenwashing. Zara a par exemple annoncé que toutes ses collections seront fabriquées à partir de tissus 100 % durables d’ici à 2025. Un horizon lointain qui ne permet pas de savoir si ces engagements sont sincères…
En attendant, le gouvernement prévoit de mettre en place une note environnementale sur les vêtements, comme le Nutri-Score dans l’agro-alimentaire : des produits les moins impactant (A) aux plus néfastes pour l’environnement (E). Seulement voilà : cet affichage ne sera pas obligatoire… En France, Décathlon s’est engagé comme marque pilote pour tester le projet. 61% des produits ont une note, qui ne prend en compte que l’impact sur l’environnement. Le volet social est absent. Une raison pour laquelle, selon Thomas Ebélé, le projet, qui a commencé il y a 18 mois, est loin d’être achevé. À l’heure actuelle, le gouvernement explique ne pas disposer de critères établis pour intégrer la composante sociale dans la notation.
Le gouvernement agit lentement
Créer de tels systèmes de notation sur un volet si spécifique et complexe prend du temps. Des lois ont été faites en France pour que cette industrie limite ses effets négatifs. En février 2020, Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, a rencontré les fabricants de machines à laver, l’objectif ? « Équiper obligatoirement les 2,7 millions de lave-linges vendus en France chaque année de filtres à microparticules d’ici fin 2024. »
En 2017, suite au drame du Rana Plaza, la France a également voté une loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Elle oblige les grandes entreprises à veiller aux bonnes pratiques sociales et environnementales des acteurs de leur chaîne de production sous peine d’amende. Mais le bilan réalisé en 2019 n’est pas jugé convaincant. Le gouvernement s’est également engagé « au plus tard fin 2021, ou fin 2023 selon les cas » à interdire de jeter des produits non-alimentaires, dont les textiles font partie. « La loi imposera aux producteurs, importateurs et distributeurs de donner, réemployer, réutiliser ou recycler leurs invendus.»

Enfin, au G7 de Biarritz en 2019, un “Fashion Pact” a été signé par 30 grands groupes textiles. Il prévoit d’atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050, et de passer à 100 % d’énergies renouvelables sur la chaîne d’approvisionnement d’ici 2030. Les groupes devront rendre des comptes, mais aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect du pacte… Si les dates paraissent lointaines, c’est avant tout parce que ces changements impliquent des processus longs et complexes pour les sociétés, qui ont des antennes dans différents pays.
C’est en tout cas l’explication de Laetitia Hugé, qui après une longue carrière dans l’industrie de la mode, a quitté le circuit classique il y a quelques mois et a créé Pando, pour accompagner les marques dans une démarche environnementale et sociétale. « Cela implique de repenser son modèle économique. Dans notre monde actuel, on considère qu’une entreprise est rentable uniquement lorsqu’elle a un bénéfice important. Est-ce qu’il n’y a que ça à prendre en compte ? C’est la réflexion à mener. Ce n’est pas forcément que la rentabilité financière qu’il faut regarder, mais aussi l’impact qu’a la société sur son territoire et sur l’environnement. Si on valorise ces critères comme étant la rentabilité d’une entreprise, si on l’intègre dans la manière dont on regarde une société, les données seront très différentes. C’est un chemin, on n’y est pas du tout et ça demande du temps, mais il y a pleins d’initiatives qui sont en cours », conclue-t-elle.
La seconde main : pratique éco-responsable ou nouveau marché ?
Faire du neuf avec du vieux, c’est aussi réalisable à la maison. De nombreux blogs et vidéos Youtube sont disponibles pour permettre à toutes et tous de réutiliser les vieux textiles oubliés, que ce soit des vêtements, des draps ou des rideaux. Les Français ne semblent plus enclins à jeter leurs vêtements, la moitié d’entre eux a déjà rapporté en magasins ou déposer des vêtements dans un collecteur prévu à cet effet, et la même proportion a déjà donné des vêtements au lieu de les jeter.
Mais cela est à nuancer, car en contrepartie, depuis les années 2000, les ventes de vêtements ont doublé alors que leur utilisation a diminué de moitié. La mode jetable, où les consommateurs achètent pour ne pas utiliser le produit, ou très peu, est également main courante.

En parallèle, le marché de l’occasion fleurit. La mode du vintage est en pleine expansion. Les friperies sont devenues les nouvelles boutiques tendances et des vides-dressings sont organisés chaque week-end. La location de vêtements commence même à se développer. En ligne aussi, la seconde main fonctionne à pleine vitesse, notamment via des applications de vente d’articles entre particuliers. Le succès en France est tel que le pays est devenu le premier marché de Vinted, avec près de 11 millions de membres. En moyenne, 2,2 transactions sont réalisées chaque seconde.
Lise, étudiante en photographie de 21 ans utilise l’application depuis deux ans. Elle a commencé car en tant « qu’acheteuse compulsive », Vinted lui permettait de vendre ses vêtements, et donc de se faire un peu d’argent. Rapidement, c’est tout un business qui s’est développé. « J’achète des habits dans les brocantes, à Emmaüs ou dans des fripes pour les revendre. Quand je m’y mets à fond, je peux me faire 800€ en un mois. » Un marché de la seconde main à la limite du professionnalisme pour certains utilisateurs.
« Certaines dévalisent les magasins pendant les soldes pour les revendre sur Vinted à des prix plus élevés. »
L’application est d’ailleurs parfois critiquée pour n’être en fait qu’une machine à consommer plus. Si des particuliers revendent des habits de la fast-fashion sur Vinted, pour ensuite réutiliser l’argent gagné dans les mêmes enseignes, alors l’effet est nul, voire pire. Lise a remarqué ces déviances. « Personnellement, je ne vais dans les grands magasins que pour acheter des sous-vêtements ou des chaussures. Mais certaines dévalisent les magasins pendant les soldes pour les revendre sur Vinted à des prix plus élevés. » La seconde main a aussi ses travers…
Mais le marché est promis à un bel avenir. En 2018, il représentait 24 milliards de dollars aux États-Unis et devrait atteindre 64 milliards en 2028. Une tendance que les marques ont aussi remarquée… Ïdkids, par exemple, a développé son propre outil de revente entre particuliers, mais le système est vicieux. Les utilisateurs doivent venir retirer leurs achats en points de vente (et donc être susceptible d’acheter du neuf) ou sont rémunérés en bons d’achats (encore une fois, pour acheter du neuf en magasin).
Le marché de la seconde main ne relève donc pas que de pratiques éco-responsables. D’autant plus que les chiffres de la fast fashion augmentent, le marché était estimé à 35 milliards de dollars aux États-Unis en 2018 et devrait atteindre 44 milliards en 2028.

Du côté du luxe, on innove. Pour Serge Carreira, responsable de l’initiative marques émergentes au sein de la Fédération de la haute couture et de la mode parisienne, « en termes de notoriété, les maisons de luxe donnent le La ! aux tendances ». Ce spécialiste de l’histoire de la mode croit beaucoup à la nouvelle génération de créateurs et de créatrices. « Ils montrent l’exemple et agissent, ils prouvent qu’il y a un chemin pour créer et se développer d’une façon différente en gardant une forte créativité et une identité importante tout en étant responsable. »
Et ça, même les anciens l’ont compris. En janvier dernier, Jean-Paul Gaultier organisait l’ultime défilé de sa carrière en misant sur l’upcycling. La pratique consiste à utiliser d’anciens vêtements pour en faire de nouveaux. Sur le carton d’invitation, il s’explique. « Je pense que la mode doit changer. Il y a trop de vêtements, et trop de vêtements qui ne servent à rien. Ne les jetez pas, recyclez-les. Un beau vêtement est un vêtement qui vit. »
Des déclarations qui peuvent prêter à sourire quand on sait que les paroles des créateurs et des marques sont trop rarement alignés sur leurs actes. Reste que désormais une chose est sûre : personne ne peut ignorer l’impact social et environnemental de la production textile.
Sources des données : Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy : redesigning fashion’s future, 2017. Étude C&A x IPSOS, Les Français et la mode durable, septembre 2019. Exposition, Le revers de mon look, ADEME, novembre 2019, Challenges, NY Times.