Pontevedra, ville sans voiture

Dans le nord-ouest de l’Espagne, une ville de 83 000 habitants a choisi de rendre le pouvoir aux piétons. Bienvenue à Pontevedra, la première ville au monde sans voiture.

« Nous avons complètement inversé les priorités : d’abord les piétons, puis les vélos, les transports publics et en dernier, les voitures privées. » Ce choix, c’est celui qu’à fait il y a quinze ans Miguel Anxo Fernández Lores, maire de Pontevedra en Espagne. Cette ville située à 600 kilomètres à l’ouest de Madrid, à 60 au sud de Saint- Jacques-de-Compostelle, près de la frontière avec le Portugal, se targue d’être la première du monde à avoir banni les voitures. Si la réalité est légèrement plus complexe, le constat est bien là : en six mandats, l’ancien médecin devenu élu local a radicalement transformé le paysage de sa commune.

Si vous prenez le temps de vous balader dans cette ville de la Galice, entièrement entourée de collines, vous remarquerez forcément quelque chose. Ici, pas de chaussée, pas de signalétique, pas de trottoir et aucune place de stationnement. Simplement de larges esplanades, de grandes terrasses, des espaces végétalisés et des aires de jeux, le tout agrémenté de très nombreux bancs et sous un éclairage entièrement réadapté. Pontevedra appartient aux piétons.

« Pour les piétons, c’était invivable, à certains endroits, on ne pouvait même pas se croiser, on était obligés de descendre du trottoir et de marcher sur la chaussée. »

Une véritable révolution, quand on sait que les voitures ont longtemps été reines dans ces rues désormais si calmes. Les photos des années 1990 montrent des bouchons interminables, et des lignes entières de voitures stationnées en double-file. « La ville était devenue un vrai chaos, un dépotoir à voitures », se rappelle Miguel Anxo Fernández Lores.

L’air était devenu irrespirable, la pollution était plus importante qu’à Paris, et les complications respiratoires, notamment l’asthme, grimpaient en flèche. Sur la place principale de la ville, le maire se replonge dans le passé. « Ici, il n’y avait pas la moindre terrasse. Les gens se garaient n’importe où, n’importe comment. Tout le monde était en double file, et il y avait beaucoup de circulation, des embouteillages en permanence. Pour les piétons, c’était invivable, à certains endroits, on ne pouvait même pas se croiser, on était obligés de descendre du trottoir et de marcher sur la chaussée. » Alors, en 1999, il se présente aux élections avec pour programme la réduction drastique du trafic. On le traite de fou, on ne lui donne aucune chance. Aujourd’hui, il honore son sixième mandat.

Une baisse du trafic automobile de 90%

Entre-temps, le trafic a baissé de 90% et la pollution de plus de moitié. Pour les habitants, 70% des déplacements se font à pied. La longue transformation du paysage urbain s’est accompagnée d’une transformation des mentalités tout aussi compliquée. « On a commencé les travaux en mai 2001. On a d’abord cassé les trottoirs pour les élargir, se souvient le maire. Ça a été très difficile à accepter pour les conducteurs, parce qu’à Pontevedra, la voiture, on l’utilisait en permanence. Même pour aller chercher le pain, on prenait la voiture. » Pour autant, les grincements de dents ont rapidement cessé. Même les commerçants, un temps inquiets, sont désormais ravis. Dans sa boutique de chaussures, installée dans une zone de la ville fermée aux voitures depuis deux ans, Pedro a constaté une hausse significative de la fréquentation. « La zone piétonne a redynamisé le quartier, souligne-t-il. Depuis les travaux, le chiffre d’affaires a augmenté tous les ans, malgré les effets de la crise sur le pouvoir d’achat des gens. »

Pour favoriser les commerces de proximité, le maire a interdit toute construction de centre commercial dans la ville. Plus de voiture et plus de « plein de courses hebdomadaire » pour les Pontevedrés et notamment pour Amaya, mariée et mère de trois enfants, qui travaille dans le centre-ville. « Tous les jours, ou presque, en sortant du bureau, je passe chez les commerçants où j’ai mes habitudes, prendre quelques fruits et des légumes, explique-t-elle. Ça me permet d’avoir tout le temps des produits frais. » Et en termes de budget ? « Les prix sont plus élevés que dans un hypermarché, mais en parallèle, j’ai tellement réduit mes dépenses liées à la voiture que je suis gagnante. »

Car Amaya, comme de nombreux habitants de la ville, n’a pas totalement fait une croix sur sa voiture. En sortant de son dernier commerçant, elle marche dix minutes dans la zone piétonne, traverse le pont qui surplombe le fleuve Lérez, avant de retrouver son véhicule sur l’immense parking en contrebas. Ici, les habitants ont accès à 8 000 emplacements gratuits pendant 24 heures. Depuis ce « parking de dissuasion », Amaya n’a plus que dix minutes de trajet pour rentrer chez elle. Au total, elle n’a besoin que de 20 minutes pour se rendre à son travail, dont seulement dix en voiture. Comme la plupart de ses concitoyens, Amaya estime avoir gagné en qualité de vie. Pour prévoir ses déplacements, elle utilise « Metrominuto », un plan créé par la mairie, disponible dans les rues ou via une application mobile. Présenté comme une carte de métro, il détaille les distances et les temps de parcours, à pied, entre les principaux points de la ville.

Quelques aménagements particuliers

Sur le chemin, Amaya peut tout de même, parfois, croiser quelques rares véhicules. Entre 9h00 et midi, chaque matin, les chauffeurs-livreurs sont autorisés à circuler pour approvisionner les commerçants. Dès leur tournée terminée, ils rendent rapidement les rues aux piétons. La police municipale surveille de près. Les chauffeurs-livreurs ne sont pas sa seule cible.

Car entre l’hyper-centre, entièrement piéton, et les parkings de dissuasion, aux abords de la ville, il existe une zone de transition. Dans certaines rues, les voitures sont tolérées, mais elles ne peuvent pas stationner plus de quinze minutes. Alors la patrouille scanne toutes les plaques d’immatriculation, et s’attaque rapidement aux contrevenants. À Pontevedra, on ne plaisante sur ce sujet là : l’amende est de 200 euros. « Il y a une vertu dissuasive mais c’est surtout une question d’éducation, de prise de conscience, explique le maire. Une fois que les gens ont compris, on a de moins en moins besoin de verbaliser. D’ailleurs, on se rend bien compte que petit à petit, les amendes diminuent. »

Fort de son succès populaire, le maire poursuit sa transformation. Chaque année, la partie interdite aux voitures gagne du terrain. Désormais, cela concerne la moitié de la ville. Une zone où même les transports publics ne s’aventurent plus. Alors on flâne, on se promène, on traîne en terrasse sans respirer les gaz d’échappement… Même les écoliers ont investi les rues de la ville. En effet, pour les établissements scolaires sans cours de récréation, les temps de détente se déroulent sur les places publiques qui jouxtent les bâtiments.

Pontevedra continue de tendre vers son absolu : devenir la première ville mondiale sans voiture. Ces dernières années, elle a reçu de nombreux prix internationaux récompensant sa politique de mobilité urbaine, mais également son accessibilité et sa qualité de vie. Cette alternative attire : alors que sa courbe démographique chutait dans les années 1990, elle s’est complètement inversée depuis quinze ans. Entre 2001 et 2016, la ville a gagné près de 10 000 habitants.

Photo de Une : Juan Mejuto (CC BY-SA 2.0)