Des expériences innovantes se répandent dans le milieu animalier. Des technologies immersives permettent une plongée dans le monde des animaux de tous horizons. Une nouvelle manière de découvrir la faune et la flore de la planète, sans les déplacer de leur habitat naturel.
L’air est frais, mais le ciel est bleu. Le jardin d’acclimatation de Paris grouille de familles, venues se promener en cette belle journée de février. Derrière les manèges, deux enfants courent après un paon. Une scène qui laisse perplexe lorsque l’on vient d’assister à l’expérience Wild Immersion. Programmée depuis un an, l’animation permet de découvrir les animaux sauvages du monde entier dans leur milieu naturel. Petits et grands prennent place dans une salle aménagée de poufs, tabourets et banquettes, sur lesquels sont disposés des casques de réalité virtuelle. Une fois équipé, un film de douze minutes défile tout autour de nous. Les scènes sont filmées avec des caméras 360°, le spectateur peut ainsi tourner sa tête où bon lui semble pour admirer le paysage, sa faune et sa flore. Un troupeau de bison passe au-dessus de nos têtes, un ours polaire grogne et des renards, curieux de notre présence, semblent s’approcher à quelques centimètres de notre nez. On s’y croirait presque.
Les films sont réalisés pour le jardin d’Acclimatation et changent à chaque trimestre, passant du monde des grands singes, aux créatures marines et terrestres. Un projet qui a nécessité un investissement de 500 000€ pour créer un espace de visionnage confortable, et 40 000€ pour les 100 casques à disposition.

« C’est un rappel de notre tradition d’acclimatation de la faune et de la flore à l’origine de notre création en 1860, ce qui, dans un passé aujourd’hui totalement révolu, nous avait réduit à un zoo. Mais c’est aussi l’occasion de voyager autour du monde sans empreinte carbone, de parcourir la jungle ou de plonger dans les eaux de l’arctique sans quitter Paris. Les spectateurs voient de vrais animaux sauvages, parfois en voie de disparition, dans leurs habitats naturels, sans images de synthèse, en ayant l’impression qu’ils pourraient presque les toucher », rapporte Marc-Antoine Jamet, président du Jardin d’Acclimatation. Depuis un an, 150 000 visiteurs ont vécu cette expérience.
Un changement du côté de l’opinion publique
Du côté des établissements ayant des animaux en captivité, les arguments ne varient pas. « Notre préoccupation quotidienne ce sont les animaux et leur bien-être, explique par exemple Pierre Singer, directeur du parc animalier de Sainte-Croix. Si des zoos se comportent mal, nous les fermerons ensemble. » Chez lui, les animaux vivent en semi-liberté, et il insiste sur le besoin de nuancer les propos et prendre en compte les réels besoins physiologiques des animaux. « Scientifiquement, nous avons démontré que le territoire du loup va de 1,5 kilomètres carré à 100 kilomètres carré, l’idéal étant le plus petit. Nous avons une vision humaine, nous colonisons, nous sommes impérialiste, il nous faut de grands espaces. Mais les loups, quand ils ont un grand territoire, c’est parce qu’ils n’ont rien à manger, et pour le sécuriser c’est encore plus compliqué. »

Admettons. Mais une orque, dans son milieu naturel, nage en moyenne 160 kilomètres en une journée, ce qui équivaut à 1 400 tours de bassin en captivité.
Les conditions de captivité des animaux sont souvent pointées du doigt, notamment pour les cirques et les delphinariums. En effet, ce sont eux qui ont recours à une mise en scène de leurs pensionnaires. Le dressage, ou “training”, est au cœur de leur quotidien, indispensable pour présenter les spectacles aux visiteurs. Ces derniers se font éclabousser par les cétacés, qui finissent par leur dire au revoir avec leur nageoire, quand les tigres sautent à travers des cerceaux en feu. Des numéros qui effacent leur comportement naturel aux yeux des spectateurs. Les mauvaises conditions de vies ne sont également plus à prouver. Si les animaux ont accès à des soins de qualité et sont entourés de soigneurs dévoués et compétents, les espaces à leur disposition ne sont pas adaptés. Obligés de cohabiter dans de petits bassins, les conflits prennent une autre dimension et certains animaux peuvent devenir violent envers les autres. Il est fréquent d’observer des troubles du comportement : ennui, stress, dépression, maladie, etc.
Le parc de Marineland à Antibes (06), qui propose des spectacles d’orques, de dauphins et d’otaries, accueille toujours de nombreux visiteurs (850 000 en 2017). Mais le public est de plus en plus informé sur les conditions de vie des cétacés, que ce soit par les associations de défense des animaux, des scientifiques ou d’anciens soigneurs. En 2017, ces dénonciations avaient conduit Ségolène Royal à déposer un arrêté ministériel interdisant la reproduction des cétacés en captivité. Seul moyen de venir à bout de ce système. Il fut annulé l’année d’après par le Conseil d’État.

Pourtant, les mentalités évoluent. Le baromètre annuel 2020 « Les Français et le bien-être des animaux », mené par la Fondation 30 Millions d’Amis et l’Ifop, montre que 69% des Français veulent la disparition des delphinariums qui maintiennent en captivité des orques et des dauphins à des fins de divertissement, une augmentation de cinq points par rapport à 2019. Par ailleurs, 72% sont favorables à la fin de l’exploitation des animaux sauvages dans les cirques, là aussi une augmentation de cinq points par rapport à 2019.
Une tendance générale qui s’oppose à la souffrance animale et dont les pouvoirs publics se sont emparés. En France, 293 municipalités refusent désormais d’accueillir des cirques avec animaux. Dans le monde, 45 pays y sont opposés, dont 23 en Europe.
Les alternatives se multiplient
En parallèle de cette prise de conscience, les technologies se sont développées. La réalité virtuelle s’est ouverte au grand public. Le concept est simple, grâce à un casque adapté, il est possible d’accéder à un monde virtuel, créé de toute pièce.
Il devient alors possible de faire revivre des animaux disparu, comme les dinosaures. C’est la proposition faite par le zoo de Thoiry (78) à ses visiteurs en 2017 avec l’animation « la Vallée des dinosaures ». Le zoo de Guangzhou en Chine a également proposé une attraction similaire, dans le but de créer un zoo virtuel. Une partie est désormais dédiée à ce type d’animations, mais les visiteurs peuvent toujours aller voir les animaux en chair et en os dans le parc.

Wild Immersion, de son côté, utilise juste le casque de réalité virtuelle. Le monde auquel le public accède est bien réel, il a été filmé avec une caméra 360°, qui permet d’observer l’environnement dans sa globalité. Le film pourrait aussi être visible sur un smartphone, que l’on tournerait pour avoir le même résultat.
La réalité virtuelle et ses outils commencent à se démocratiser dans le milieu animalier, suivi de près par les hologrammes. Le cirque Roncalli, basé en Allemagne, a créé la surprise avec cette technologie. Sensible à la cause animale, il n’utilisait plus que des chevaux depuis les années 1990. Il a passé un cap en 2018, en présentant sa nouvelle formule, où tous les animaux sont remplacés par des hologrammes. Des contenus 3D sont projetés, comme suspendu dans l’air, et directement perceptible à l’œil nu. Pas besoin de casque ni de smartphone. « Pour les enfants, les adultes, et le public dans son ensemble, c’est plus intéressant et en accord avec son temps que le dressage des animaux. Ça attire un nouveau public, nous avons eu des dizaines de milliers de réactions positives », témoigne Bernhard Paul, co-fondateur du cirque, pour le média Brut.
Sur le même principe, en 2017, la ville de Paris avait également accueilli lion, zèbre et tigre dans ses rues pour quelques nuits.

Pour Benoît Derot, CEO de l’enseigne Holopix, spécialisée dans l’holographie, il ne faut pas oublier la réalité augmentée, qui va représenter un réel enjeu à l’avenir. « C’est magnifique ce qu’ils ont fait au cirque Roncalli, mais c’est un spectacle son et lumière. L’éléphant arrive, puis se désagrège. On perd l’âme de l’animal. »
La réalité augmentée est une interposition d’éléments numériques qui viennent s’ajouter à l’environnement réel par le biais d’une interface, comme un téléphone ou des lunettes. C’est la même technologie que Pokémon GO, le célèbre jeu qui a provoqué des mouvements de foules dans les villes du monde entier à sa sortie. Le résultat est souvent bluffant, comme ce lion en feu au-dessus d’un stade de foot en argentine. Ici, l’animal n’était visible qu’à travers un écran de téléphone, mais des lunettes de réalité augmentée devraient prochainement voir le jour. La course est lancée entre les géants américains pour être le premier sur le marché, tant les attentes sont grandes et les possibilités infinies.
Les défendeurs de cette technologie imaginent des cirques et delphinariums sans animaux et beaucoup plus intuitifs. Avec des lunettes de réalité augmentée nous pourrions voir tout ce qui nous entoure, et même en plus. Imaginez une promenade en forêt par exemple, avec toute la flore autour, les personnes qui sont avec vous et des animaux par dizaines… Benoît Derot va même plus loin. « Avec les lunettes, nous pourrions voir les animaux de près, parce qu’on sait que dans les zoos, le lion est souvent à 15 mètres, couché dans l’herbe, on ne voit rien. Là vous pourrez vous approcher, presque le toucher. On va y arriver avec des gants interactifs. Avec les progrès de l’image de synthèse, les animaux seront d’un réalisme saisissant. Il suffit de regarder le nouveaux roi lion qui est une prouesse technique. Ce sera très immersif, si vous êtes dans la savane par exemple, le soleil réchauffera votre peau, vous sentirez le vent… Des choses que l’on ne peut pas avoir avec la réalité virtuelle.»
Des limites techniques et éthiques
Ces nouvelles alternatives, aussi prometteuses soient-elles, ont tout de même leurs limites. Les lunettes de réalité augmentée sont encore à l’état de prototype. Mais nous pourrions déjà nous poser des questions sur l’utilisation à bon escient de cette technologie et le respect de l’éthique. Nous pourrions créer des animaux sur commande, sans respecter leurs comportements naturels et ainsi véhiculer de fausses croyances.
L’holographie, quant à elle, n’est pas arrivée au bout de ses capacités. « Mes clients me demandent souvent des hologrammes comme ils ont pu voir dans les films, mais la plupart du temps c’est impossible, il y a une grosse méconnaissance du public sur ce qui est possible de faire ou non aujourd’hui », reconnaît Benoît Derot.

De plus, il faut prendre en compte le temps et le coût de réalisation. Pour le cirque Roncalli, l’installation aurait nécessité 500 000 € d’investissements, une équipe de quinze ingénieurs 3D et plusieurs années de travail.
Pour Pierre Singer, ces technologies ne peuvent être qu’une expérience complémentaire. « Nous faisons des expériences de déconnexion-reconnexion. Déconnexion de la vie quotidienne et reconnexion à la nature et à notre entourage. Ce qui manque aux gens dans leur vie c’est un réalisateur. Un lynx dans un arbre à 5 mètres ils ne le verront pas. Nous, oui. Donc nous mettrons la caméra sur le lynx. C’est un peu contre intuitif aujourd’hui de les remettre dans toute cette technologie. Nous avons une expérience immersive en intérieur, mais elle ne fonctionne pas tellement, les visiteurs veulent être dehors. »
Le directeur du parc animalier de Sainte-Croix insiste aussi sur sa mission de sensibilisation, notamment auprès des enfants. Un enjeu majeur partagé par tous les acteurs du milieu animalier, mais souvent caractérisé d’excuse à l’enfermement. Un projet est en cours de développement à ce sujet, Nima World. Une expérience immersive dans un bâtiment recouvert d’écrans, au cœur de la vie animale, “un changement de paradigme dans la manière de connaître le comportement réel des animaux”, promet le projet.
Post-scriptum
Mettre fin à la captivité des animaux pose une question essentielle : où iront ceux qui sont actuellement dans les différents parcs et zoos ? Soit il faudra attendre que les dernières générations s’éteignent en captivité, soit, une autre alternative existe : les réserves naturelles. Pour Christine Grandjean, présidente de l’association « C’est Assez », ces animaux ne peuvent pas retourner dans leur milieu naturel, surtout ceux nés en captivité, « et si nous arrêtons tout demain, par exemple, les orques devront aller en Chine, ce qui est encore pire ». Selon un sondage Ifop réalisé en 2018, 86% des Français sont favorables à la création de sanctuaires ou refuges marins. Pour les cétacés, ces endroits n’existent pas encore. Un projet devrait bientôt voir le jour : Whales Sanctuary project. Une réserve dans le nord des États-Unis où les animaux, auparavant utilisé à des fins de divertissements, pourront vivre en semi liberté. Un delphinarium, SeaWorld, s’est également engagé à créer une réserve similaire pour y mettre ses animaux, mais ils n’ont toujours pas trouvé de lieu propice “à cause du réchauffement climatique”. Sur la cinquantaine de sites que l’aquarium a inspectés, aucun n’a été jugé jusqu’à présent suffisamment à l’abri de tempêtes violentes et de proliférations d’algues, qui devraient toutes deux s’aggraver avec l’augmentation des températures.