Ce que la France peut apprendre des autres pays dans la lutte contre le Covid-19 (3/3)
Avec près de 100 millions d’habitants, le Vietnam est bien plus peuplé que la France, possède un système de santé faible et un budget limité pour lutter contre le Covid-19. Pourtant, le pays a réussi à maintenir son taux d’infection au virus extrêmement bas.
À plus de 10 000 kilomètres de la Chine où l’épidémie a débuté, la France compte mi-avril près de 150 000 cas d’infection au Covid-19, et près de 20 000 décès. Dans le même temps, le voisin vietnamien a été largement épargné, déclarant à la même date moins de 300 cas, et aucun décès. Bien que dotés d’institutions politiques similaires à celles de la Chine, le Vietnam est considéré comme beaucoup plus ouvert d’un point de vue de la liberté des médias et de l’accès à l’information, et si ces chiffres sont à prendre avec prudence, il est incontestable que le pays est en train de gagner son combat contre le virus.
Il faut dire que contrairement à la France, dont le président assumait encore cette semaine le maintien des élections municipales fin mars, et les délais précédant les mesures de confinement, le Vietnam n’a pas tardé à agir face à la menace. Ainsi, alors que les journalistes chinois ont tardé à révéler les vulnérabilités du pays face à la “mystérieuse pneumonie de Wuhan”, les doutes sur les statistiques fournies par le voisin ont très vite été révélés à la communauté internet vietnamienne, permettant un plus grand sens de la prévention.
Dès les célébrations du Nouvel An, fin janvier, le gouvernement vietnamien a “déclaré la guerre » au coronavirus, alors que l’épidémie n’avait même pas encore franchi ses frontières. Le Premier ministre Nguyen Xuan Phuc prévenait alors que le coronavirus attendrait le pays “dans peu de temps”, et qu’il faudrait « combattre cette épidémie comme on combat un ennemi ».

Reste qu’un tel combat nécessite un système de soin efficace et un budget conséquent pour les actions publiques. Deux éléments qui font défaut au Vietnam. Impossible, donc, d’adopter le modèle de lutte coréen par exemple, qui nécessite d’effectuer des centaines de milliers de tests, un personnel médical nombreux et des infrastructures développées.
À Ho Chi Minh Ville, une métropole de 8 millions d’habitants, soit autant que la capitale Hanoï, le maire Nguyen Thanh Phong a très vite prévenu que l’arrivée du virus saturerait rapidement les hôpitaux de la ville, qui ne disposent au total que de 900 lits de soins intensifs.
Ainsi, les écoles et universités ont immédiatement été fermées, tout voyageur en provenance d’une zone à risque était systématiquement isolé pendant 14 jours, et le Vietnam a mis en place une politique de quarantaine rigoureuse et a procédé à une recherche complète de toutes les personnes ayant été en contact avec le virus. Dès le 12 février, une ville de 10 000 habitants près de Hanoï a complètement été mise en quarantaine pendant trois semaines. À cette époque, il n’y avait que dix cas confirmés dans tout le pays…
Un état surveillé
Les autorités ont aussi rigoureusement documenté toute personne susceptible d’avoir été en contact avec le virus : alors que les pays occidentaux comme l’Allemagne n’ont recensé que les personnes infectées et leurs contacts directs, le Vietnam a méticuleusement tracé les contacts de deuxième, troisième et quatrième niveaux avec les personnes infectées. Toutes ces personnes ont ensuite été soumises à des niveaux successifs de restrictions strictes de mouvement et de contact.
“Deux éléments clé ont permis au Vietnam d’être particulièrement efficace, explique Anh Thu Tran, chercheuse vietnamienne expatriée au Royaume-Uni. D’abord le gouvernement a très vite compris que le blocage des informations à la chinoise ne faisait qu’aggraver la situation. Les autorités ont été transparentes et ont autorisé la diffusion d’informations sans restriction sur Facebook. Ensuite, dans l’urgence, le gouvernement a choisi de placer le bien-être et la protection de la vie au-dessus de toute considération politique ou économique, quitte à tendre les relations avec la Chine.”

Loin du niveau d’infrastructures sanitaires de l’Allemagne, moins équipé technologiquement que la Corée du Sud, le Vietnam s’est appuyé sur un appareil de sécurité déjà solide, et a même étendu son système de surveillance publique, afin de s’assurer du respect des mesures de protection et collecter un maximum d’informations sur les personnes infectées. Avec l’aide d’une armée nombreuse et déployée dans tout le pays pour surveiller les mises en quarantaine et distribuer le matériel médical.
“Récemment, même l’identité et les déplacements d’un personnage clé chargé de la théorie du communisme pour le parti, qui a été testé positif, ont été rendus publics, souligne Anh Thu Tran. Cette transparence totale a permis aux dirigeants de gagner la confiance de la population et de donner un impact fort aux messages gouvernementaux contre l’épidémie.” Quitte, comme d’aucuns le préconisent y compris en France, à renoncer à une certaine confidentialité ? “Les Vietnamiens sont habitués à une surveillance rigide. Ils sont donc généralement très coopératifs et disciplinés, ce qui explique que les quarantaines et les isolements soient aussi bien respectés. Cette faiblesse est exceptionnellement devenue une force, et a très largement contribué à la limitation de la propagation du virus.
Une rhétorique guerrière
Comme la France par la voix de son président, Emmanuel Macron, le Vietnam a choisi la rhétorique de la guerre, une tactique qui a contribué au succès politique de la gestion de la crise, rassemblant très largement derrière un Premier ministre qui assénait : « Chaque entreprise, chaque citoyen, chaque zone résidentielle doit être une forteresse pour prévenir l’épidémie. »

Sur les réseaux sociaux, accessibles librement contrairement à la Chine, la population vietnamienne montre très majoritairement son adhésion à la politique du gouvernement face à cette crise, et le vice-premier ministre Vu Duc Dam, figure de proue de la lutte contre le virus, est célébré comme un « héros national ». “Même si cela profite au parti unique, les Vietnamiens sont fiers de la réussite de leur pays dans cette crise, alors que les conditions sanitaires sont incomparables avec celles de pays développés qui sont pourtant bien plus touchés.”
Reste que l’impact économique de la crise frappera durablement le pays, malgré le faible nombre de cas. Le gouvernement vietnamien a injecté en urgence 1,1 milliards de dollars dans l’économie, mais la chute des recettes fiscales à venir inquiète. En deux mois, 3 000 entreprises ont déjà fermé leurs portes, et plusieurs grands groupes implantés au Vietnam ferment leurs hôtels, provoquant une hausse importante du chômage. Après une gestion de crise réussie d’un point de vue sanitaire, le pays, qui reçoit seize millions de touristes chaque année, craint des lendemains économiques plus difficiles.