Quand la réhabilitation remplace la punition

En Norvège, le système carcéral est pensé pour préparer les détenus à redevenir des citoyens modèles. La privation de la liberté est l’unique punition. Pour le reste, il s’agit avant tout de réhabiliter. Une vision résolument tournée vers le futur, qui contraste avec le modèle français.

Du Ferry, le paysage est idyllique. Très vite après avoir quitté l’ancienne base marine de Horten, l’île apparaît déjà, dans un décor de carte postale : 2,6 kilomètres carrés de champs et de forêts, surplombés de pics rocheux. Une fois le pied au sol, on distingue les premières petites maisons en bois, peintes en rouge, et plus loin, de plus grandes habitations jaunes aux allures de dortoir. Le lieu semble calme et paisible. Il ne s’agit pourtant pas d’un petit village isolé, mais de l’une des prisons les plus célèbres du monde : bienvenue à Bastøy, dans le fjord d’Oslo, à 75 kilomètres au sud de la capitale norvégienne.

Ici, 115 hommes purgent leur peine, dans des conditions très particulières, typiques des prisons ouvertes scandinaves, apparues en Finlande dans les années 1930. «Ça n’a rien à voir avec la beauté de l’île ou la nature, explique le directeur de l’établissement, Tom Eberhardt. C’est la façon dont nous traitons les détenus qui est différente. Si vous enfermez une personne dans une cellule minuscule et que vous la traitez comme un animal, elle se transforme petit à petit en animal. Nous avons choisi de procéder différemment. »

Alors, à Bastøy, les détenus vont et viennent sur le ferry qui les relie à la terre ferme, circulent librement dans l’île en vélo et ont accès en tout temps à des cabines téléphoniques. Ils cultivent fruits et légumes biologiques (avec lesquels ils se nourrissent), élèvent des animaux, réparent des objets ou font des études. Pour cela, ils reçoivent une indemnité journalière (l’équivalent de 10€), avec laquelle ils peuvent acheter de la nourriture à l’épicerie ou économiser pour leur libération. Quand ils ne travaillent pas, ils vont à la plage, pêchent et jouent au football.

Elias est arrivé sur l’île il y a près d’un an, après avoir purgé le début de sa peine de quatre ans dans une prison fermée. De la fenêtre de sa cellule, dont il est le seul à avoir la clé, il peut profiter d’une vue imprenable sur la baie. « Il y a pire », lâche-t-il en souriant. Une dizaine de mètres carrés avec sa propre décoration, un bureau, un lit, une télévision et une salle de douche privée avec toilettes. À l’étage du dessous, il partage un espace de vie commune avec les autres détenus. « On joue à la console, on discute, ou alors on sort pour aller courir ou jouer au basket. »

Quatre gardiens la nuit et le week-end

Au réfectoire, les détenus cuisinent eux-mêmes, avec les produits de la ferme de l’île. Sebastian, emprisonné pour meurtre, manie les couteaux de cuisine avec une dextérité qui ne semble inquiéter personne. « C’est juste pour préparer le repas, assure-t-il. Il n’y a rien à craindre. » Pour assurer le bon fonctionnement du lieu, 70 employés entourent tout de même les prisonniers. Mais, la nuit et les week-ends, seuls quatre gardiens sont présents. Non armés, ceux-ci ont suivi une formation spécifique de deux ans, qui inclut notamment des cours sur la psychologie, le travail social et les droits de l’homme. «Ici, on n’utilise pas la répression, seulement le dialogue, note Anne, qui côtoie les plus jeunes prisonniers. On devient vraiment proche des détenus. On entre dans leur vie, on connaît leurs histoires, et cela fait naître une confiance mutuelle qui permet d’accomplir des choses extraordinaires.»

Si la prison ouverte concerne entre 20 et 30 % de la population carcérale, la Norvège applique les mêmes principes dans les établissements de haute sécurité. La plupart des cellules y ont leurs propres toilettes et une salle d’eau. Les prisonniers travaillent ou suivent des cours à distance, partagent des salles communes et ont accès à de grandes bibliothèques. Il existe même parfois des solariums, afin d’éviter que le manque de lumière en hiver cause des carences en vitamines D…

À Bastøy comme dans l’ensemble du système carcéral norvégien, il n’est jamais question de punition, mais uniquement de réhabilitation. Il s’agit d’enseigner au détenu le respect de soi et des autres, de le responsabiliser, et ainsi de le préparer à sa sortie de prison, plutôt que d’entretenir un désir de vengeance. « Il faut garder une chose à l’esprit : nous les privons de leur liberté. Ils sont loin de leur famille, de leurs amis, de leur vie… La punition existe, assure Tom Eberhardt. Mais notre rôle, c’est de leur permettre de reprendre leur vie au sein de la société dans les meilleures conditions possibles. » Les prisonniers restent donc avant tout des prisonniers. Avec des règles, une surveillance, des sanctions et une privation de choix qui les différencient des gens libres. Si le système pénal scandinave n’élimine pas la souffrance de l’incarcération, il permet cependant de le diminuer, en ne cherchant ni à dégrader ni à avilir. « La prison est une simple privation de liberté », stipule la loi finlandaise. « Les prisonniers doivent être traités dans le respect de la dignité humaine », ajoute la loi suédoise. « Ils doivent être traités avec la plus grande compréhension concernant les difficultés particulières liées à la vie en prison. » Le pari est le suivant : plus les conditions carcérales sont favorables, c’est-à-dire proches de la vie « dehors », plus la réintégration des prisonniers sera facile.

Des chiffres très positifs

Une vision dont l’efficacité tend à être démontrée par les chiffres : avec à peine 20% d’anciens détenus recondamnés à de la prison, la Norvège a l’un des taux de récidive les plus faibles du monde (38% en France, 66% aux États-Unis). «La quasi-totalité de ces prisonniers sera libre un jour, ajoute Tom Eberhardt. La question que nous devons nous poser, est donc : quel genre de citoyens voulons-nous qu’ils soient quand ils habiteront dans la maison voisine de la nôtre ? Nous essayons d’en faire de bons voisins.»

Le système carcéral scandinave se veut être un cercle vertueux : l’État providence omniprésent garantit un faible taux de criminalité. Les prisons ne sont pas bondées et assurent aux détenus des conditions de vie décentes, lesquelles font baisser le taux de récidive et donc, en retour, le taux de criminalité… Un mode de pensée né dans les années 1930, alors que les pays scandinaves considèrent le crime comme une forme de maladie qui, grâce au diagnostic d’experts et à une politique d’accompagnement, peut être éradiquée comme n’importe quelle autre maladie contagieuse. En Suède, le Code pénal indique même depuis 1945 que les prisonniers sont « des orphelins de la maison du peuple suédois » (styvbarn i det svenska folkhemmet) et que le système se doit de les réintégrer.

Une mentalité qui perdure. En 2006 encore, le parti travailliste norvégien déclarait qu’ « avec des services publics adaptés, le crime et la plupart de ses motivations peuvent être éliminés. » La lutte contre la drogue et l’alcool, le renforcement des services de psychiatrie, ou encore une véritable politique d’éducation et d’emploi montrent des résultats particulièrement efficaces. Des investissements importants, mais dérisoires en comparaison du coût humain et social d’un système pénal déficient.

Reste que la méthode a forcément ses limites. À force de vouloir éviter la surpopulation carcérale, les peines de prison peuvent être repoussées pendant plusieurs mois. En Norvège, le taux d’incarcération a ainsi été maintenu artificiellement bas (73 pour 100 000 habitants, contre 784 aux États-Unis) pour ne pas déroger au principe « un homme, une cellule ». Alors que près de 4 000 détenus étaient répartis dans les 43 prisons du pays, 1 300 condamnés attendaient encore leur cellule en 2014. En outre, si en moyenne, un détenu norvégien coûte 33 000 euros par an à l’État, contre 36 600 euros pour un détenu français, la Norvège dépense cinq fois plus par habitant que la France dans le domaine de la justice.