« Si on punit au lieu de réinsérer, on crée la récidive »

Sénatrice écologiste de Paris depuis 2017, Esther Benbassa visite plusieurs fois par an des prisons et des centres de rétention administratifs – parfois à l’improviste –  afin de constater les conditions de vie des détenus. Tout en alertant sur ce qu’elle a vu, l’élue propose plusieurs pistes alternatives.

Que se passe-t-il dans les lieux de privation de liberté ? C’est pour répondre à cette question qu’Elisabeth Guigou, alors ministre de la justice, fait adopter en 2000 une réforme qui autorise – entre autres – les parlementaires à visiter les prisons. Esther Benbassa en a visité une dizaine ; et presque autant de centres de rétention administratifs, qui enferment des sans-papiers dont la moitié sera expulsée. Entre les murs, la violence est en perpétuelle évolution. La sénatrice évoque des « mutineries et des mutilations » auxquelles s’ajoutent une situation sanitaire alarmante et des conditions de vie quotidienne déshumanisantes. Elle a accepté d’en discuter avec nous. 

Qu’avez-vous observé durant vos visites ? 

Quand je me rends dans des prisons, je suis toujours accompagnée de journalistes car je suis convaincue que ce qu’il s’y passe doit être gravé dans le marbre. Je rencontre le directeur qui nous fait un discours informel. Je demande à voir les détenus et fais ouvrir des cellules. Lors de mon passage, dans la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, une personne commence à raconter les violences qui sévissent dans cette prison où la moyenne est de six suicides par an ; un chiffre élevé pour une prison dédiée aux peines de courte durée. Alors que le reste du personnel de cette prison s’accorde sur le discours polissé du directeur, psychiatres compris, la personne qui me fait des révélation a subi, je l’apprendrai plus tard, des menaces. Dans ces cellules il y a aussi des personnes atteintes psychologiquement qui n’ont rien à faire dans une prison. Leur place est dans une institution spécialisée. 

Lors d’une visite dans la prison pour mineurs de Porcheville (Yvelines), la première question qui me vient à l’esprit est « Qu’est-ce qu’ils ont a faire ces gamins là-dedans ? ». Dès que les jeunes atteignent 16 ans – âge jusqu’auquel la scolarité est obligatoire en France – ils ne vont plus en cours. Ceux qui ont moins de seize ans sont en décrochage scolaire. Ils se plaignent d’une nourriture inadaptée pour les adolescents, avalent des chips que les familles leur apportent et sont en surpoids du fait de leur inoccupation. Hormis deux ou trois d’entre eux qui ont commis des crimes, le reste était juste paumé.

Récemment je suis allée à la prison de Fleury-Mérogis car on m’a parlée d’un nombre de suicides élevé, qui avaient doublé en un an. La prison est propre et neuve. Comme j’arrive a l’improviste on ne peut pas dire qu’on a nettoyé pour moi. Je rencontre des détenus qui me parlent des violences morales dans cette prison. J’ai appris qu’un jeune de 25 ans s’est suicidé. Il était la pour avoir commis cinq infractions. Il a eu honte pour sa mère. Il s’est pendu a son lit, on a averti la mère trop tard. Voila ce qu’il se passe dans ces prisons.

Quelles seraient les solutions alternatives pour endiguer ces phénomènes ?

Moi je suis pour les peines alternatives, pour les mineurs dans un premier temps. Il faudrait imaginer des centres d’éducation de jour, des éducateurs qui les suivent à l’école, pour suivre une fois par semaine leur évolution. Il faut aussi des milieux ouverts, que leur instruction soit faite pour qu’ils ne récidivent pas. 

Aujourd’hui en prison on ne peut pas penser à l’insertion. Il n’y a pas assez de personnel, pas assez de fonds. Les gardiens sont mal payés, il ne veulent pas faire ce boulot. En région parisienne, les gens finissent l’école et s’en vont en province. Il n’y a que des nouveaux venus qui ne connaissent pas la psychologie du milieu carcéral. Certains pensent qu’on peut tout gérer par la violence. Il n’y a pas d’argent, il n’y a pas un suivi psychologique important qui est fait sur ces personnes. Car les détenus sont violents il ne faut pas entrer dans le monde angélique ou tout va bien. Les grèves sont des symptômes, il y a un mal être. 

Beaucoup des détenus attendent parfois des années avant d’être jugés alors ils se demandent pourquoi ils sont là. Il faut repenser la prison. On doit augmenter les fonds, former des gens et rajouter des médecins. Rajouter des médecins parce que les détenus malades n’ont pas leur soin pour l’hépatite ou le VIH. Il y a une véritable réflexion à faire sur la prison. C’est vrai que l’état de ces prisons est mauvais, les chambres sont d’une saleté sans nom, les prisonniers vivent en pleine lumière, ils dorment en pleine lumière et ils sont plusieurs dans une cellule. Les directeurs sont en général des personnalités très autoritaires. Aujourd’hui il faut revoir tout le problème de la prison.

Et à court terme, que peut-on faire ?

A court terme ? Il faut réaménager certaines peines, notamment les plus courtes. Cela passe par des travaux d’intérêt général (TIG), des stages, des apprentissages de métiers avec contrôle, l’augmentation des bracelets électroniques, des formations chez des artisans, métiers manuels, logements pour des gens et sûrement d’autres idées qui ne me viennent pas directement. 

Avant de penser a la sortie, et rééduquer vers la sortie il faut penser à apprendre, quand ce n’est pas le cas, un métier. La réinsertion n’est pas un miracle. Mais comme nous pensons d’abord à punir et pas à réinsérer, on crée de la récidive. Mais les enfants, les mineurs ? Ils veulent aller dans des prisons d’adulte parce qu’au moins ils auront un réchaud pour préparer leur nourriture. Quand vous écrivez à la ministre, il n’y a pas de réponse en général. Dans les centres de rétention, c’est de plus en plus violent. Il y a une violence a l’intérieur. Les gens ne se mutilent pas pour rien. 

Il faut aussi visiter ces centres de rétention pour voir la situation. Il n’y a rien, ni un jeu, ni une télé, ce sont des gens entassés qui attendent qu’on les expulse ou qu’on les relâche.