Sensibiliser le public aux conditions de détention et enseigner en prison. Voilà les missions originelles du Génépi. Mais en juin dernier, cette association étudiante a radicalement changé de cap en décidant d’arrêter les actions en détention. Une décision qui résulte de nombreuses années d’expérience au sein du système carcéral français.
« Comme beaucoup d’autres, je suis arrivée sans réelle connaissance du milieu carcéral, je me suis dis pourquoi pas aller aider ! » Mathilde Sallerin, diplômée de Sciences Politique, s’est engagée en tant que bénévole au Genepi (Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) en 2017. Aujourd’hui en service civique au sein de l’association, elle est chargée de la communication aux côtés d’Éloïse Bro’h, salariée et également diplômée de Sciences Politique. Les deux jeunes femmes ont le profil type des étudiant.e.s qui s’engageaient au Genepi jusqu’à l’année dernière.
Initialement créée par l’État en 1976 pour apaiser le climat dans les prisons alors que les détenus se révoltent contre leurs conditions de détention, le Genepi se compose principalement de jeunes issus de grandes écoles, chargés de l’enseignement aux détenus. « Dans les années 80/90/2000 il y a eu des climax où nous intervenions dans une cinquantaine de prisons en France avec 900 bénévoles actifs et déployés », précise Éloïse Bro’h.
Au début des actions, les ateliers sont très scolaires et théoriques. Les bénévoles donnent des cours de langues ou de mathématiques aux détenus, sans réciprocité. Une relation de maître à élèves, qui a rapidement montré ses limites, comme l’explique Mathilde Sallerin : « Dès le début on a eu une réflexion sur la violence symbolique d’être des étudiants d’une vingtaine d’années, blancs et issus de grandes écoles qui vont donner des cours à des hommes purgeant de longues peines. » Éloïse Bro’h ajoute : « C’est important d’y penser surtout que nous dénonçons la prison comme une système raciste, enfermant massivement des personnes racisées donc c’est vraiment gênant d’être une association majoritairement blanche qui s’impose dans le système carcéral et qui peut en ressortir, alors que les autres restent enfermés. »
Ce constat émanant des bénévoles, mais aussi des détenus, les visites prennent un autre tournant. Les cours théoriques deviennent des activités socioculturelles : théâtre, débats, photos en argentique, ateliers d’écritures, jeux de société… « Généralement c’était bien reçu. C’était différent des visiteurs de prisons, les détenus pouvaient s’exprimer, avoir une autre forme de discussion », affirme Éloïse Bro’h.
Des relations avec l’administration pénitentiaire compliquées
Mais proposer des activités plus libres a rapidement eu son lot de complications. Avant d’intervenir, les bénévoles doivent envoyer à l’Administration Pénitentiaire (AP) une trame de l’atelier, la manière dont celui-ci va se dérouler et ce dont le groupe va discuter. « Mais un atelier ça s’improvise en fonction de l’humeur des personnes… À Strasbourg, nous disions que nous allions jouer aux jeux de société. Comme ça, nous n’avions pas besoin d’expliquer grand-chose et nous avisions sur place, avec les détenus », avoue Mathilde Sallerin. Elle enchaîne : « Parfois, la veille, l’AP annulait sans raison ou parce que le groupe de détenus qui s’était constitué ne lui plaisait pas. Ensuite, on nous re-donnait l’accord, mais à condition d’enlever certaines parties de l’atelier et en plus, ils voulaient nous faire des formations eux-mêmes. Ça nous prenait beaucoup de temps. Nous étions des bénévoles étudiants, alors quand tout ça s’accumule et qu’en plus on doit louer une voiture parce que les prisons sont loins… Pour une heure d’intervention nous devions prendre l’après-midi ! C’était compliqué pour certains. » Pour la bénévole de Strasbourg, aujourd’hui en service civique à l’association, l’évolution a été nette : « Comme d’autres bénévoles, je suis rentrée sans être vraiment militante et j’en suis ressortie radicalisée, parce qu’on voit ce qui se passe. »
Pour Éloïse Bro’h, « l’association s’est totalement transformée, c’est impressionnant. Ça a été un processus lié à une réflexion de plus en plus critique émise par les bénévoles qui se sont radicalisés, jusqu’à tendre vers une pensée abolitionniste. »
Ces positions, aujourd’hui assumées par l’association, n’étaient pas aussi populaire il y a encore quelques années. Mais petit à petit, des groupes locaux ont arrêté les visites en prisons à cause de désaccords avec l’administration. « Nous avons instauré des limites basses en 2017, en dessous desquelles nous refusons d’organiser les ateliers. Nous n’avons pas envie de participer à un système horrible avec des fouilles à nu et une surveillance H24, nous voulions leur accorder un peu de ‘’liberté’’ dans nos ateliers et ne pas participer à ce système, ni céder à l’AP. Certaines prisons ont refusé, donc nous avons cessé d’intervenir. C’était le début d’une ligne anti-carcérale », raconte Mathilde Sallerin.
Le Genepi, lié à l’État par une convention et subventionné, s’érige alors en contre-pouvoir de la politique carcérale mise en place. Dans ses campagnes de communication, elle assume son idéologie avec des slogans comme « La prison nuit gravement à la société », ou «L’État enferme, la prison assassine ».
Une rupture avec l’État
Un parti pris qui fragilise sa relation avec l’État. Alors qu’entre 2016 et 2018, les interventions du Genepi continuent de toucher environ 2 000 détenus par an, le gouvernement décide en septembre 2018 de rompre les aides. Peu après, le 5 novembre 2018, Nicole Belloubet, ministre de la justice, s’exprime à ce sujet sur France Inter : « Le Genepi développait des thèses très hostiles à la politique publique que nous conduisons (…), ce n’était plus une politique partenariale mais d’opposition quasiment frontale et permanente, donc j’ai pris une décision qui est de supprimer la subvention. » Suite aux contestations des bénévoles, l’État a finalement proposé une nouvelle convention, mais avec des conditions non acceptables pour l’association, qui l’a donc refusée, entraînant la fin de la collaboration. Certains bénévoles ont alors quitté l’association, faisant place à une nouvelle vague, plus militante.
« Même si on est abolitionniste, on va continuer à soutenir celles et ceux qui sont en prison, ça nous parait important d’améliorer leur quotidien. Nous ne pouvons pas nous déconnecter de la souffrance qu’ils vivent quotidiennement », assure Mathilde Sallerin. L’association va devoir se restructurer autour de la sensibilisation, un terrain déjà connu puisqu’entre mai 2017 et mai 2018, 593 actions ont été organisées hors des murs des prisons. “On fait aussi des interventions scolaires dans les collèges ou les lycées. On déconstruit les stéréotypes, on fait de l’éducation populaire”, ajoute-t-elle.
L’association compte aller plus loin en convergeant avec d’autres luttes, comme l’explique Éloïse Bro’h : « Nous prenons l’enfermement et la prison au prisme de toutes oppressions de genres. Nous allons parler de racisme car pour nous c’est un système raciste, avec une écrasante majorité de personnes racisées qui sont enfermées. Nous allons aussi parler de féminisme car on parle peu des femmes en prison, et on va aussi aborder le capitalisme avec le travail des détenus et la manière dont des entreprises privées sous-traitent en prison et se font de l’argent sur le dos des détenus. » Dans sa nouvelle ère, le Genepi a également décidé de s’ouvrir à tous, et plus uniquement aux étudiants.
Malgré la rupture avec l’État, la situation du Genepi reste cocasse : son bureau national est situé dans un bâtiment du ministère de la Justice prêté à l’association, dans le 13ème arrondissement de Paris. « On ne sait pas jusqu’à quand ils vont nous laisser ici, peut-être deux jours, peut-être deux ans », sourit Mathilde Sallerin.