Au Brésil, un centre de formation en langue étrangère a créé un programme visant à mettre en relation des adolescents désireux d’apprendre l’anglais avec des seniors américains isolés dans des maisons de retraite.
Sous la grisaille inhabituelle de Rio de Janeiro, la façade rouge du centre d’apprentissage est encore plus visible. Les deux arbres plantés devant l’entrée ne cachent pas l’enseigne, visible au loin : « CNA, Inglès Definitivo ». Devant la baie vitrée, la file de jeunes gens grandit à chaque minute qui passe. Ils viennent apprendre l’anglais. À quelques milliers de kilomètres de là, dans des maisons de retraites américaines, des personnes âgées cherchent à qui parler. Une oreille attentive, un moment à partager, même virtuellement.
Alors, une association brésilienne a décidé de faire le lien entre les deux. En nouant des partenariats avec un réseau d’écoles de langue au Brésil et des maisons de retraites américaines, elle a développé une plateforme de discussion en ligne, par webcams interposées, entre de jeunes Brésiliens désireux d’apprendre l’anglais et des personnes âgées en maison de retraite aux États-Unis. Le Speaking Exchange Program propose ainsi une formule qui aide des étudiants à apprendre une langue étrangère, lutte contre l’isolement des seniors, et crée du lien intergénérationnel.
« La plupart des étudiants brésiliens n’ont pas la chance de pouvoir partir à l’étranger et d’interagir avec des personnes dont l’anglais est la langue maternelle, explique Vanessa Valença, coordinatrice pédagogique au sein de l’école de langue. Cette alternative est évidemment un moyen d’améliorer considérablement le niveau d’anglais, mais elle permet également de rendre l’apprentissage plus réel, plus humain. » Loin de Rio et du Brésil, à Chicago, les résidents de la maison de retraite Windsor Park ont un large programme d’activités proposé chaque jour. Bien souvent, la salle informatique est pourtant prise d’assaut. « Les puzzle, les jeux de cartes, c’est une chose, raconte Mary, une résidente de 83 ans. Mais quand on a la possibilité de discuter avec de jeunes gens, on se bouscule devant les ordinateurs… »
Sur la plateforme créée spécifiquement pour le programme, chacun dresse son profil. Un prénom, un âge, une photo, mais surtout une brève description, des centres d’intérêt, des sujets de discussions favoris. Lorsque l’on est connecté, on peut ainsi chercher un interlocuteur selon différents critères et mots clés – ou bien choisir un profil au hasard.
Avant tout des rencontres
Aujourd’hui, depuis le centre brésilien, Jamile appelle Mélissa. Un peu impressionnée, elle bafouille lorsque l’octogénaire américaine apparaît sur l’écran. « C’est la première fois que je parle à quelqu’un d’un autre pays », lâche-t-elle timidement. Mais rapidement, le large sourire de Mélissa la met à l’aise. Les deux femmes parlent de tout et de rien, et Mélissa donne quelques conseils de prononciations à la jeune étudiante, ou lui apprend de nouvelles expressions. Pendant plus d’une demi-heure, l’échange est nourri, et Jamile promet finalement à sa correspondante de la rappeler quelques jours plus tard.
Sur l’ordinateur voisin, Marcelo, lui est en grande conversation avec Henry. Une fois de plus. « On a parlé pour la première fois il y a environ six mois, et depuis on s’appelle toutes les semaines, explique-t-il. Nous discutons de nos vies, de nos familles, de notre quotidien et de nos rêves. » Mais ce n’est pas tout. Car Marcelo et Henry se sont trouvés grâce à leurs profils similaires : l’un étudiant en ingénierie mécanique, l’autre retraité de la profession. Alors, le jeune brésilien a pu découvrir tout un vocabulaire lié à son futur métier. « C’est un plus incroyable par rapport à un cours classique, souligne-t-il. Non seulement nous avons la possibilité de discuter, en direct, avec des natifs du pays dont nous apprenons la langue, mais en plus je maîtrise un vocabulaire spécifique qui me servira dans mon métier. » Sans compter les amitiés qui naissent, nourries par les échanges quotidiens. Un lien précieux entre deux générations. Qui plus est issues de deux cultures différentes.
« À chaque fois que je parle avec quelqu’un, des liens se créent très vite, assure Mary. C’est comme si j’avais un nouveau petit-fils ou une nouvelle petite-fille. Certains d’entre eux m’ont d’ailleurs invitée à venir au Brésil. On se parle beaucoup, on se rappelle régulièrement, et forcément, on partage beaucoup de choses. Sur nous, sur nos vies, sur nos parcours. On découvre la culture de l’autre, et on apprend beaucoup. Très vite, on oublie la question de la langue, de l’apprentissage. Ce sont des moments intenses, parfois très émouvants. »
Un système gagnant pour tous
Du côté du centre d’apprentissage, on n’abandonne pas pour autant les étudiants à leurs nouveaux correspondants. « Chaque conversation est enregistrée, et les professeurs visionnent les échanges, explique Vanessa Valença. Ils peuvent ainsi, par la suite, débriefer avec chaque étudiant, apporter des corrections, des explications, des conseils. Ils peuvent aborder un vocabulaire spécifique qui a manqué, ou travailler sur des constructions grammaticales précises. »
À l’origine du projet, pas de grande révélation ou de brainstorming poussé, mais un simple constat. « Nos étudiants veulent améliorer leur anglais, et nous privilégions toujours les approches plus réelles, plus humaines. Alors, en cherchant des interlocuteurs natifs, on a pensé aux seniors vivant en maisons de retraite. » Si l’obstacle technique a rapidement été franchi, les outils gratuits et simples d’utilisations étant de plus en plus développés, il a cependant fallu trouver des maisons de retraite intéressées par le projet. « Les convaincre n’est pas la partie la plus difficile, car les bénéfices pour tout le monde sont assez évidents, raconte Vanessa. Mais il faut un certain nombre d’équipements, au-delà des ordinateurs et de la connexion internet, notamment en termes de caméras et de micros. Mine de rien, le coût peut rapidement monter et en fonction de l’échelle d’un établissement, ce n’est pas toujours supportable, ou en tout cas ce n’est pas la priorité dans les dépenses. »
Finalement, les partenaires ont afflué et le programme a rencontré un franc succès. « On a d’un côté des étudiants qui veulent parler anglais, de l’autre des seniors américains qui cherchent à qui parler : c’est un échange gagnant-gagnant. Ça ne peut que fonctionner… » Et les porteurs du programme n’oublient jamais les effets vertueux découlant de leur plateforme. « Notre projet n’a pas seulement une portée en termes d’éducation. En sortant des seniors de l’isolement, en créant du lien intergénérationnel, cette conversation a priori anodine devient un acte de solidarité et de développement personnel. » Car il ne s’agit pas seulement de faire de ces jeunes gens de meilleurs étudiants, mais aussi, tout simplement, d’en faire de meilleures personnes.