Depuis 2017, l’association « Tous curieux » s’évertue à diffuser la culture dans les milieux qui n’en sont pas naturellement imprégnés. Ses co-présidents, Abdelilah Laloui et Alia Ismail, eux-mêmes issus de ces zones d’éducation prioritaires ne manquent pas d’idées pour casser la barrière sociale longtemps érigée face à certains jeunes publics.
Comme toutes les associations, « Tous curieux » ne s’est pas faite en un jour. C’est le résultat de longues discussions. Des discussions qui se font « sur le chemin en rentrant du lycée, dans un fast-food ou même à l’issue d’un cours de philosophie plutôt tumultueux » se souvient Alia. La jeune fille et son meilleur ami Abdelilah, alors élèves de terminale au lycée Gutemberg de Créteil préparent à l’époque le concours de Sciences Po Paris. Leur lycée, classé en « ZEP » (Zone d’Éducation Prioritaire) bénéficie d’un programme de recrutement spécial dans l’IEP (Institut d’Études Politiques) de la rue Saint-Guillaume. Au lieu du concours « classique », leur admission s’effectue sur dossier suivi d’un éventuel entretien oral.
C’est cet entretien oral qui les interroge. En faisant le tour des questions éventuelles qui pourraient leur être posées, les lycéens s’aperçoivent que le bagage culturel qu’ils possèdent n’est pas en adéquation avec les attentes d’un jury de ce type. De culture, ils ne sont pourtant pas démunis. Les deux comparses, comme la plupart des jeunes publics qu’ils souhaitent atteindre par leurs actions, sont en effet le produit d’une une double culture, de par leurs origines familiales ; syriennes pour Alia, algériennes pour Abdelilah.
« On a de la chance d’être dans un pays multiculturel, mais par contre on ne peut pas exposer ces cartes quand on va passer un entretien d’embauche. »
Alia Ismail
Dès février 2017, se mettent en place les premières « assemblées de curieux ». Une fois par semaine, elles réunissent les aspirants sciencepistes. Ces réunions sont des cercles de discussion libres articulées autour de produits culturels divers et variés (livres, disques, peintures…) appartenant à la culture dominante ; celle qui est toujours considérée en France comme plus légitime. Des jeunes curieux la qualifient même de « culture des riches » rappelle Margaux, la responsable de la communication de l’association.
Au-delà de cette période de bachotage de concours qui les animent, ils saisissent un réel enjeu autour de l’accès à la culture dans les zones d’éducation prioritaire en région parisienne. L’association est née. Ses premiers pas englobaient dans un premier temps des lycéens, camarades de classe des coprésidents; mais cela s’étend rapidement à d’autres sphères et des publics plus jeunes. Leur but premier est de « faire bouger les choses, au sein des groupes d’amis au sein des familles, et a plus grande échelle au niveau de l’état car c’est un mécanisme qui existe depuis longtemps » explique Alia Ismail.
Une à deux fois par mois, se tiennent des assemblées de curieux majoritairement dans des collèges mais aussi dans quelques lycées de la région parisienne. Dès le début, cette proposition novatrice qui est faite aux collégiens de venir discuter de culture, le temps d’un instant, au travers de propositions éclectiques prend racine et séduit de nombreux jeunes. Chaque session leur permet de réfléchir sur ce que l’auteur d’une oeuvre a souhaité exprimer en la produisant. Aujourd’hui, ces assemblées sont limitées à quinze personnes afin que chacun puisse s’exprimer sans que cela ne devienne une contrainte trop magistrale pour les collégiens.
« Notre meilleure amie, c’est la curiosité »
Alia Ismail
Les actions de l’association ne s’arrêtent pas à ces assemblées de curieux. Il existe également des sorties culturelles dans des musées, à l’opéra ou au théâtre. L’association est soutenue par ses homologues comme Ambition Campus ou Graine d’Orateur avec qui elle travaille au long de l’année. Elle profite aussi de l’appui de nombreuses structures culturelles qui lui accorde des partenariats pour obtenir des entrées à moindre coût (lorsque celles-ci sont payantes). En fait, l’accès à la culture est avant tout une « barrière sociale » selon Margaux, car les grands musées parisiens sont « gratuits pour tous les jeunes publics ».
Deux ans après sa création, l’association et les actions qu’elle mène semblent avoir un impact. Elles libèrent la parole des jeunes qui se sentent de plus en plus légitimes à parler de culture dans un premier temps. Ensuite, en élargissant le spectre de leurs connaissances, ils peuvent avoir un avis plus tranché. Enfin, ils s’ouvrent à de nouvelles perspectives. L’élan médiatique dont a bénéficié l’association mi-2019 a permis à de nouveaux partenariats d’éclore. Elle réfléchit désormais à contacter des acteurs culturels comme Kerry James ou Slimane, qui reflètent davantage leur culture, tout en essayant d’obtenir des locaux.