« Être cultivé pour être libre. » Ce sont les mots de José Martí, homme de lettres et symbole cubain. Force est de constater que l’île a suivi de près les recommandations de son héros national, en faisant de l’éducation la priorité de son action politique depuis la révolution de 1959. Avec 13% du budget national consacré à ce secteur, Cuba est le pays le plus généreux du monde avec son école.
« Le paradis de l’enfance ». C’est en ces termes que l’UNICEF qualifie Cuba dans un rapport sur la protection des droits des enfants dans le monde. Dans le même temps, l’UNESCO présente le système éducatif cubain comme un « exemple pour le monde entier ». La Banque mondiale le confirme, dans son rapport sur l’éducation en Amérique latine et dans les Caraïbes, plaçant l’île en tête du classement de la région en matière de niveau des élèves, de méthodes d’enseignement, de qualité de la formation des enseignants… Avec des chiffres comparables, voire supérieurs dans certains domaines, à ceux des pays les plus riches de l’OCDE.
« La Banque mondiale prend sans cesse l’exemple de Cuba, qui a atteint l’excellence dans ce domaine, souligne Salim Lamrani Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines et spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis. Ces résultats s’expliquent par la volonté politique des dirigeants cubains de mettre la jeunesse au centre du projet de société, en allouant les moyens nécessaires à l’acquisition de savoirs et de compétences, et ce malgré les ressources limitées d’une nation du tiers-monde et un état de siège économique imposé par les Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle. » Philippe Bayart, Rémy Herrera et Éric Mulot, auteurs de recherches sur le système éducatif cubain, abondent. « À Cuba, l’éducation constitue, on le sait, un axe essentiel du projet de développement et un moyen d’atteindre l’objectif d’égalité. L’une des finalités du système éducatif y est de remettre en cause la division capitaliste du travail et la division sociale qui en découle. Les principes fondamentaux qui orientent les politiques éducatives cubaines sont l’universalisme, la gratuité et le caractère public de l’éducation. Leur application a permis d’édifier l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, en termes d’accès comme de qualité. »

Derrière ce succès – qui continue de surprendre, car Cuba reste un pays pauvre, évoluant par ailleurs dans un contexte géopolitique particulièrement tendu – il n’y a pourtant pas de grand secret. Cuba est le pays du monde qui accorde la plus grosse part de son budget national à l’éducation (13%), et ce n’est pas une nouveauté. Dès la révolution de 1959, l’éducation devient le grand chantier du nouveau gouvernement. Le 6 juin 1961, la loi de nationalisation de l’enseignement est promulguée, supprimant de fait les établissements privés. Le ministère de l’éducation (MINED) prend alors la responsabilité de toutes les écoles de l’île, et se fixe comme objectif d’éradiquer l’analphabétisme. L’éducation primaire et secondaire devient obligatoire, avec le consensus de la population.
En deux ans, 10 000 classes sont construites afin de scolariser 90% des enfants de moins de 12 ans, et des installations militaires sont converties en centres d’études pour accueillir 40 000 élèves. À partir de 1961, les Cercles infantiles fleurissent. Ces institutions pédagogiques et d’enseignement accueillent des enfants âgés de 45 jours à 6 ans, afin de les préparer au mieux à la vie en société, à l’intégration scolaire mais également à la prévention hygiénique et sanitaire. Le pays cherche à favoriser la sociabilité et le goût de l’apprentissage chez l’enfant, et ce, dès son plus jeune âge. Pour cela, il met en place de nombreux programmes. Le plus emblématique, baptisé « Educa a tu Hijo » (« Éduque ton enfant »), est développé dans les années 1970 pour atteindre les familles vivant dans les zones reculées, dans les campagnes ou dans les montagnes, et par conséquent plus éloignés des Cercles infantiles. L’UNESCO reconnaît l’excellence de ce programme, depuis adapté et développé dans d’autres pays du monde, au même titre que le programme cubain d’alphabétisation, « Yo si puedo » (« oui, je peux »), autre grande réussite de l’après-révolution, qui a permis le déploiement de 30 000 maîtres volontaires dans les campagnes pour éduquer les paysans.

Car l’éducation des adultes est une autre bataille de Cuba, qui a organisé un système pédagogique dédié, sur trois niveaux, portant à 99,8% le taux d’alphabétisation du pays. En outre, la télévision est devenue un outil important de diffusion, de transmission et d’assimilation des connaissances. Une chaîne entièrement consacrée à l’enseignement (Canal Educativo) et émettant plus de quinze heures par jour, y compris le week-end et la nuit, est désormais accessible à près de 90 % de la population. Philippe Bayart, Rémy Herrera et Éric Mulot soulignent également que « l’une des chaînes de la télévision nationale retransmet les programmes Universidad para Todos, proposant des enseignements de qualité en mathématiques, histoire, langues étrangères et arts. Ainsi, 30 % des plannings télévisuels des chaînes cubaines – sans aucune publicité commerciale – sont au total consacrés à des émissions éducatives, en plus des programmes de Canal Educativo ».
Pour garantir l’accessibilité à l’éducation pour tous, l’école cubaine est entièrement gratuite, du jardin d’enfants jusqu’à l’enseignement supérieur, et le repas du midi est pris en charge par l’État, qui aide aussi à l’achat des uniformes portés par les écoliers. Pour limiter le délaissement des études supérieures au profit des études professionnelles et techniques courtes, souvent pour des raisons financières (accès rapide aux métiers du tourisme, de la comptabilité, de l’informatique), les étudiants des universités sont quant à eux rémunérés par l’Etat (au niveau du salaire moyen du pays), en échange de deux ans de service social (également rémunéré) après leur diplôme. Par ailleurs, 420 écoles réparties sur l’île sont adaptées pour répondre aux objectifs de prévention, d’assistance et d’intégration de la prise en charge et de l’apprentissage des enfants souffrants de handicaps physiques ou mentaux.

Si l’éducation, au même titre que la santé ou la culture, fait incontestablement partie des grandes réussites de Cuba, les enjeux sont encore nombreux pour l’île des Caraïbes. Ainsi, le pays cherche aujourd’hui à renforcer l’enseignement technique, pour s’assurer d’une main d’oeuvre hautement qualifiée qui lui fait cruellement défaut. Par ailleurs, le contexte géopolitique limite l’accès aux outils informatiques ou aux matériels pédagogiques et didactiques pour les classes, ou même, plus basiquement, au matériel élémentaire que sont les cahiers, les livres, les stylos. Plus globalement, André De Ubeda, ex-délégué général de l’Alliance française à Cuba, souligne « la vétusté des infrastructures », accentuée par l’importante crise économique traversée par le pays au début des années 1990, liée à la dislocation des échanges avec le COMECON et au durcissement de l’embargo imposé par les États-Unis.
Dans leurs recherches, Philippe Bayart, Rémy Herrera et Éric Mulot notent que « si la croissance des dépenses est redevenue positive dès 1994, pour s’accélérer après 1998 et que la proportion des budgets éducatifs dans le PIB s’est même accrue entre 1990 et 1993, alors que ce dernier chutait (– 35 %), les budgets bruts consacrés au secteur éducatif ont été affectés par la contraction du PIB », ce qui a limité les investissements matériels et le développement de nouveaux programmes jusqu’au milieu des années 2000.
André De Ubeda n’élude pas non plus « l’endoctrinement idéologique » supposé. « Dans les programmes figurent en bonne place, et sans nuance, le Che ou José Marti,explique-t-il. Mais c’est un constat que l’on peut faire en France aussi par exemple, où les « héros » sont présentés sans véritable esprit critique. La question est ouverte. »

Reste que la politique cubaine d’éducation a porté ses fruits. Aujourd’hui, 100 % des enfants cubains intègrent l’équivalent du collège, et 99,5 % d’entre eux valident l’équivalent du brevet français. Cuba est le pays disposant du plus grand nombre d’enseignants par habitant et du plus faible nombre d’élèves par classe dans les cycles primaire et secondaire. Un indice mis en place par un organisme privé (Altinok), visant à homogénéiser les résultats obtenus lors des tests comparés de compétences éducatives à l’échelle mondiale, place Cuba au-dessus de la France en mathématiques et en langue maternelle. Selon cet indice, seuls le Canada, la Finlande, Hong Kong et la Corée du Sud dépassent les performances cubaines.
Malgré des difficultés économiques et logistiques, les résultats scolaires des élèves semblent montrer que les choix opérés par le secteur éducatif cubain ont dans l’ensemble été efficaces. Un système qui a su surmonter un certain nombre d’enjeux forts sans jamais remettre en cause le caractère universel, gratuit et public de l’éducation.
Sources des données : Banque mondiale, ONU, UNICEF, rapport «Comment améliorer l’apprentissage en Amérique latine et dans la Caraïbe», «Le système éducatif cubain depuis la crise» de Philippe Bayart, Rémy Herrera et Éric Mulot.
Ce reportage fait partie de la série :
Que peut-on apprendre de Cuba ? (2 / 4)
Sujet aux caricatures et aux interprétations contradictoires, Cuba n’en reste pas moins un pays à part, dont les résultats dans de nombreux domaines étonnent. Dans un contexte économique et géopolitique très particulier, cette île du tiers-monde a mené des expériences dont la réussite est internationalement reconnue, et qui inspirent de nombreux autres pays.