Contrairement à ce qu’indique son nom, Radio Parleur ne s’écoute pas sur les ondes. « Le son de toutes les luttes » propose des podcasts engagés au cœur des revendications sociales. Le journaliste Martin Bodrero, qui fait partie de l’équipe fondatrice de Radio Parleur, plaisante : Podcast Parleur, ça a moins de cachet ! Ce dernier nous présente le média de podcasts qui informe autrement, entremêlé de réflexions plus générales sur les médias.
À quel problème vous attaquiez-vous lorsque vous avez créé le média ?
Nous sortions d’une expérience particulière. Nous étions plusieurs à sortir d’une radio qui s’appelait Radio Debout, qui traitait des événements de Nuit Debout en 2016, sur la place de la République. Nous avions, pendant trois mois, expérimenté une radio au coeur d’un mouvement social. Nous nous étions aperçu que ça intéressait des gens, que ça amenait du monde qui voulait parler de ça et que souvent, les gens nous disaient : « personne ne parle des mouvement sociaux depuis l’intérieur, en suivant les gens qui les pratiquent et en étant de leur point de vue, de leur côté ».
Quand le mouvement s’est arrêté, Radio Debout s’est arrêté et une partie des pigistes s’est dit qu’on avait chopé quelque chose : un angle intéressant. Celui de suivre les mouvements sociaux, d’être au cœur de ceux-ci, et d’être engagés à leur côté, même s’il ne s’agit pas de ne pas les critiquer. Nous ne sommes pas militants, nous sommes vraiment engagés.
Le problème auquel nous nous sommes attaqués, c’est d’abord un manque d’information sur un sujet précis. Les mouvements sociaux sont souvent traités dans les questions du blocage, du nombre de personnes dans la rue, de la violence – qui ressort énormément en ce moment avec les gilets jaunes. Mais elles sont rarement posées sur les questions des conditions de déclenchement de ces mouvements, des revendications sociales, des difficultés rencontrées par les gens qui se mettent en grève et de la réalité de leur quotidien. Nous avons eu envie de questionner toutes les facettes de ces mouvements, autant des mouvements de salariés que des mouvements comme aujourd’hui de ras-le-bol social, que des mouvements féministes, des mouvements écologiques.
L’idée, c’est à la fois de proposer quelque chose de nouveau, qui était peu traité par les médias mainstream et peut-être, aussi, de le proposer d’une autre manière. Nous avons décidé de le faire en podcast, en son, et nous trouvions qu’il y avait très peu de sujets d’actualité traités et de reportages dans l’univers du podcast. Ce sont beaucoup d’entretiens, d’émissions, de discussions à deux autour d’un micro. Nous, nous voulions aller sur le terrain, au plus près des gens et nous trouvions que ça manquait.
Quelle solution proposez-vous à travers Radio Parleur ?
Nous proposons aux gens un point de vue différent, une nouvelle manière de réfléchir aux événements. Les gens savent d’où nous parlons, quel est notre engagement, les valeurs sont écrites sur le site et tout le monde peut les voir.
Comment fonctionne Radio Parleur ?
Radio Parleur, contrairement à son nom, n’est pas une radio. C’est un média de podcast. Tous les jours, nous produisons un nouveau contenu sonore : une émission, une conférence, un reportage ou un entretien. Ce contenu sonore est enrichi sur le site internet d’un texte et d’une photo. Tout cela est disponible sur le site et sur toutes les applications ainsi que les sites de podcasts. Pour le fonctionnement interne, la plupart de nos collaborateurs et de nos collaboratrices sont bénévoles. Ils participent au projet parce qu’ils y croient, parce qu’ils y trouvent de la formation au métier de journaliste. Nous sommes aussi une équipe de quatre permanente, qui passe ses journées dessus. Nous nous rémunérons. Nous ne sommes pas salariés, mais nous commençons à nous payer grâce à ce média.
D’où tirez-vous vos revenus ?
Nous les tirons de deux sources. Nous sommes partis sur quelque chose que nous faisions déjà depuis plusieurs années, en auto-entrepreneur, chacun de notre côté. C’est de l’éducation populaire aux médias. Nous avons mis en place des formations avec des scolaires, des adultes, avec des structures différentes – plutôt des structures associatives et des établissements publics -, d’apprentissage d’atelier radio. La deuxième chose qu’on est en train de mettre en place et qu’on va vraiment faire augmenter à l’automne prochain, c’est le don. Aujourd’hui, nous avons une légère forme de don, même si c’est trop léger pour vraiment nous soutenir. Le but est d’arriver à un équilibre égal entre le don et la prestation de formation.
Comment mesurez-vous l’impact de votre initiative et qu’avez-vous observé ?
L’avantage d’internet, c’est que nous avons des chiffres. Nous voyons combien de personnes viennent sur le site et combien de personnes écoutent. Cela nous permet de savoir qu’aujourd’hui, nous avons environ 20 000 écoutes par mois sur nos sujets et que nous avons environ 10 000 personnes qui vont sur le site. C’est un début d’audience. C’est petit encore par rapport à d’autres médias indépendants, mais ça commence à exister.
Ça fait un an que nous sommes vraiment sur le projet à plein temps, mais la première émission était en septembre 2016, donc presque trois ans. Radio Parleur était une complète inconnue. Maintenant, quand nous arrivons sur les manifestations, sur les mobilisations militantes, nous sommes très souvent reconnus. Les retours sont plutôt positifs, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, c’est agréable.
Nous montons pas mal de partenariats avec d’autres médias qui sont dans la même mouvance que nous, c’est-à-dire des médias libres, indépendants de tous milliardaires, n’appartenant pas à un grand groupe, etc. Ces gens-là viennent nous voir parce que, finalement, en sonore, il n’y a pas beaucoup de médias de ce genre, à part nous. Nous montons des émissions avec eux. Nous allons monter trois émissions, par exemple, avec le journal Basta ! sur le procès des suicidés de France Télécom. Nous commençons à être reconnu par nos pairs et par les gens qui partagent nos valeurs.
Sur les réseaux sociaux, nous avons pas mal de personnes qui nous suivent. Il y a des réponses, il y a des gens qui nous critiquent, des gens qui nous encensent, il y a une vraie discussion. Les gens nous proposent des sujets, c’est nouveau.
Quelles difficultés rencontrez-vous aujourd’hui ?
Celles de gagner sa vie, tout simplement. C’est un vrai choix de fonder un média. Avant, j’ai beaucoup travaillé à RMC, un média qui est complètement le contraire de ce que nous faisons aujourd’hui, c’est-à-dire plutôt orienté à droite, appartenant à un milliardaire. Je ne regrette pas, j’ai appris plein de choses. Mais si j’étais resté là-bas, aujourd’hui, j’aurais un salaire à 3000 ou 2500 euros par mois. Ce serait plus agréable. C’est le choix des aventures entrepeunariales, on ne gagne pas forcément des millions d’euros. C’est la première difficulté, réussir à pérenniser le projet, et à réussir à penser plus loin que le mois prochain. Ça va prendre du temps encore.
Notre difficulté, c’est aussi d’exister dans le flux. Des nouveaux médias, il y en a plein qui se créent tous les jours. Il faut exister avec eux, face à eux, et aussi contre des médias avec lesquels nous ne sommes pas du tout d’accord.
Une des plus grosses évolutions du journalisme, ces dernières années, c’est d’exister dans la folie des réseaux sociaux. On s’aperçoit de plus en plus que le travail de popularisation de l’article, de service après-vente d’un article, prend de plus en plus d’importance parce que c’est dur d’exister face à toute la proposition qui est faite aux gens.
Quelles limites avez-vous pu observer à votre média ?
Les limites, c’est nous qui les repoussons toujours plus loin. Pour l’instant, nous avons une audience de niche. Nous révélons des enquêtes, nous faisons du travail, mais ça n’a pas toujours l’influence qu’on aimerait que ça ait. Quand nous faisons une enquête sur les faux livreurs à vélo, qui sont en fait des migrants à qui on sous loue des comptes – je parle de Deliveroo, d’Uber – nous essayons de faire monter ça, et nous avons battu nos scores d’audience, c’était il y a six mois. Mais c’est encore petit par rapport à Libération qui vient de le faire il y a deux semaines et, quand ils le font, ça fait une sorte de mini scandale. Il faut qu’on continue à travailler et ça va venir peu à peu.
La deuxième limite, c’est qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas payer nos collaborateurs et j’espère qu’on va faire sauter cette limite rapidement. Il y a des sujets qu’on ne peut pas aller couvrir. S’il se passe quelque chose de fort à Marseille actuellement, nous n’avons personne et il faudrait qu’on envoie quelqu’un. Nous sommes limités par notre budget déplacement. Plus les gens vont nous soutenir, plus on va avoir des dons, plus on va avoir le soutien d’une audience qui a compris que l’info indépendante, de qualité, ce n’est pas gratuit et ça se paye. Et quand tu ne payes pas, c’est que c’est toi le produit, avec les publicités et autres. Aujourd’hui, nous avons bien avancé, nous pouvons faire plein de choses, mais nous sommes qu’au début du potentiel de ce que nous pourrions couvrir. Nous sommes très loin du son de toutes les luttes aujourd’hui, mais c’est normal, c’est un travail énorme.