Bruno Gruyer, directeur du collège sans classes et sans notes à Bordeaux, revient sur son expérience, fait le bilan des aspects positifs et pointe du doigt les obstacles rencontrés.
« Sur la mise en place, j’ai bénéficié d’une opportunité. À Bordeaux, une fois par an, les directeurs d’établissements peuvent proposer au rectorat un projet innovant. J’ai décrit le nôtre en une dizaine de pages. Le rectorat a donné un avis favorable en précisant que c’était un projet très intéressant, mais très ambitieux. Cela signifiait qu’il ne pouvait pas dire que ce n’était pas possible, mais qu’en revanche, il nous attendait au virage. On nous a donné trois ans d’expérimentations, et une obligation d’accompagnement. Nous les avons conclus avec succès, notre « collège sans classe » est désormais un système officiel..
Ce qu’il faut bien s’imaginer c’est que ce n’est pas une pédagogie innovante. C’est le fonctionnement de l’établissement qui est innovant. Avec chaque groupe d’élèves, le professeur agit avec la pédagogie qu’il souhaite. Comme partout, nous souffrons du nombre d’élèves par classe. L’éducation nationale prône de nouvelles pédagogies, mais quand il est devant 35 élèves, le professeur ne peut en appliquer aucune. Ce n’est pas spécifique à notre établissement : il faut arrêter de surcharger les classes.
Nous rencontrons plutôt des difficultés techniques. Encore plus qu’ailleurs, il est très compliqué pour nous d’organiser les horaires des professeurs et l’emploi du temps des élèves, car chaque matière doit être à la même heure afin de laisser la possibilité à un élève de changer de groupe en cours d’année. Il a aussi fallu que nous fassions bien attention à ce que le programme soit bien respecté. Un autre collège, à Nantes, commence une expérimentation similaire. Il faut s’imaginer que ce n’est pas facile de faire bouger le monde de l’éducation, mais c’est possible. Il vaut mieux réfléchir à la manière d’apporter, au sein de l’établissement, une innovation. Il faut faire attention à ce que l’idée ne vienne pas du directeur, mais des professeurs. Sinon c’est très compliqué.
Cette idée nous permet de parler de l’échelle nationale. Si jamais, dans une réforme, notre modèle doit être pris comme exemple pour une expérimentation nationale, ce qui serait une bonne chose, il faudrait que cela vienne d’un ministre de l’éducation nationale qui soit très fortement en contact avec le monde éducatif. Un ministre qui aille « mouiller la chemise » auprès des professeurs et des syndicats, pour montrer que c’est un progrès et que tout le monde y gagnera. Il faudra évidemment faire beaucoup de pédagogie et surtout éviter que cela parte d’en haut, sinon tous les syndicats tomberont sur celui qui a cette idée. Il doit y avoir un très gros travail de communication et de pédagogie. Mais c’est faisable ! On ne peut plus continuer d’enseigner aujourd’hui comme au temps de la guerre. »