Jean-Baptiste Nouailhac et Hervé Catala fondent Espérance Ruralités en 2017 avec pour ambition d’aider les jeunes habitants de ces territoires. Le premier, directeur du collège-pilote, le Cours Clovis, nous raconte comment il s’est installé avec son épouse ainsi qu’une équipe de 4 professeurs à La Fère, en Picardie, — « une ville de 3 000 habitants qui compte plus de 50% de chômage des jeunes » — dans un ancien Lidl qu’ils ont retapé. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions.
À quel problème s’attaque votre initiative ?
Les difficultés éducatives des jeunes des Ruralités : décrochage scolaire, auto-dévalorisation, phobie scolaire, harcèlement. J’ai voulu m’engager pour la jeunesse rurale, car les difficultés qu’elle rencontre sont énormes. D’abord, il y a l’échec scolaire : sur les 10 départements les plus touchés par l’illettrisme des jeunes, 9 sont en zone rurale. Et puis, il y a la dévalorisation. Aujourd’hui, un gamin des ruralités, quand il allume la télé, les réseaux sociaux, les clips, etc., tous les modèles culturels qu’il voit viennent des métropoles. Lui, il n’est représenté nulle part, il a le sentiment de ne pas exister, de ne compter pour rien.
Quelle solution proposez-vous ?
Un collège à taille humaine pour rendre confiance en eux aux enfants et leur transmettre les savoirs fondamentaux.
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
Notre modèle pédagogique repose sur deux piliers : la maîtrise des savoirs académiques fondamentaux d’une part, le renforcement de la confiance en soi d’autre part.
Pour nous, la maîtrise des savoirs académiques, repose sur l’adaptation aux besoins de chacun, le rythme scolaire inspiré des neurosciences (enseignements théoriques le matin et activités pratiques et artistiques l’après-midi), l’accent sur les matières fondamentales (6h de français au lieu de 4,5h, 4 à 5h de mathématiques au lieu de 3,5 à 4,5h), l’accompagnement vers l’autonomie (une demi-heure de travail personnel quotidien, en fin de matinée, pour relire et remettre en forme les cours du matin, pour favoriser la mémorisation). On propose aussi une heure d’aide aux devoirs en fin de journée.
Le deuxième pilier, le renforcement de la confiance en eux-mêmes des enfants, repose sur la présence permanente des professeurs, y compris dans la cour de récréation, pour assurer un rôle d’éducateurs et supprimer tout risque de harcèlement. On a également instauré le vouvoiement des élèves pour leur montrer leur importance, les uniformes pour éviter les moqueries ainsi que la concurrence sur les marques, les échanges quotidiens avec le directeur en fin de journée pour valoriser les comportements positifs, les sorties pour mieux connaître le territoire local afin de mieux comprendre et de s’enraciner dans son environnement et résister à l’auto-dévalorisation…
On essaie par ailleurs de responsabiliser les élèves. Les plus âgés sont responsables des plus jeunes, chacun réalise des services en équipes (rangement, vaisselle, accueil des visiteurs, rassemblement du matin, visites à l’EHPAD local). On organise une heure par semaine de « teentime » (discussions par groupes sur les sujets de préoccupation des adolescents, occasion d’une formation affective pour mieux comprendre et gérer ses émotions) et des cours d’arts scéniques (éloquence et chant), pour apprendre aux enfants à se connaître et à se faire confiance.
Comment mesurez-vous l’impact de votre initiative et qu’avez-vous observé ?
Tout d’abord, en matière scolaire, les gens votent avec leurs pieds. Si les familles ne sont pas satisfaites, elles s’en vont. À l’inverse, nous avons connu un triplement de nos effectifs entre la première et la deuxième année, passant de 11 à 30 élèves. Nous devrions en accueillir une cinquantaine l’an prochain. Sur le plan académique, nous mesurons nos résultats grâce à une évaluation diagnostique, que nous faisons passer aux élèves en début et en fin d’année ainsi nous pouvons nous assurer de notre capacité à les faire progresser. Ce dispositif a été mis en place cette année donc nous aurons les premiers résultats en juillet, mais déjà, chez beaucoup d’entre eux les progrès dans les notes sont bien visibles et sont souvent attestés par les retours des orthophonistes. Sur le plan de la confiance en eux et de l’épanouissement à l’école, les retours de parents sont clefs. Après 2-3 semaines au cours Clovis, beaucoup disent ne pas reconnaître leur enfant qui va désormais à l’école avec le sourire. Certains attendent même avec impatience la fin des vacances scolaires car l’école leur manque !
Quelles difficultés rencontrez-vous aujourd’hui ?
La première des difficultés est le financement. Hors contrat – comme tout nouvel établissement scolaire pendant ses 5 premières années, nous ne percevons aucune subvention publique. Il faut donc sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier pour aller chercher les financements nécessaires à notre fonctionnement auprès de mécènes (entreprises, fondations ou particuliers).
Quelles limites avez-vous pu observer à votre solution ?
Au collège, les téléphones sont interdits, mais à la maison, il arrive que les familles aient beaucoup de mal à restreindre l’utilisation des écrans. La surexposition de nos élèves aux écrans est un facteur très important de déconcentration et un frein aux apprentissages sur lequel nous n’avons qu’un impact limité.
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