«Le réseau de ceux qui n’en ont pas»

L’association Le Réseau entend fournir à des élèves, depuis la 5e jusqu’au Bac +5, un réseau qu’ils ne possèdent pas a priori, de par « leur environnement familial, social ». Se définissant comme « chaînon manquant » de la relation entre écoles et entreprises, l’association se préoccupe tout particulièrement d’intervenir dans des établissements d’éducation prioritaire ou situés en zone rurale isolée. Alexandre Hascoët, Délégué Général Adjoint du Réseau, nous raconte.

À quel problème l’association s’attaque-t-elle ?

À l’origine, c’est une volonté commune des pouvoirs publics et d’un certain nombre de grands groupes qui souhaitaient apporter une réponse, en 2006, à la crise des banlieues qui s’était produite l’année précédente avec ce qu’on avait pu connaître dans un certain nombre de quartiers. À la fois les pouvoirs publics, notamment le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Gilles de Robien, et les grands groupes se sont rendu compte qu’il y avait un certain nombre d’initiatives qui étaient menées de manière assez isolée par soit des acteurs de l’Éducation nationale soit des entreprises pour remédier à l’orientation des jeunes, notamment dans les quartiers. L’idée est venue de mutualiser toutes ces forces et de coucher sur le papier au sein d’une charte, la charte des entreprises en faveur de l’égalité des chances, qui a été signée en décembre 2006. Rapidement est venue l’idée de créer une association qui porterait cette charte au quotidien. L’association Le Réseau est née en février 2007.

Quelle solution proposez-vous ? On a pas la science infuse mais l’idée, c’est de permettre à un certain nombre d’acteurs de terrain de pouvoir intervenir très tôt dans le processus d’orientation des élèves parce qu’on s’est rendu compte que plus l’information arrivait tardivement, et mal de surcroît, plus l’échec scolaire était prégnant, dans un certain nombre de classes, de collèges puis de lycées des quartiers. Donc, on intervient très tôt pour permettre aux élèves, dès la 5e, de bénéficier d’informations, d’outils qui leur permettront de se révéler eux-même. « Il y a beaucoup de travail à faire sur l’auto-censure des élèves »

Ils ont parfois la sensation de disposer d’autres compétences, ou d’être bon à rien dans un certain nombre de domaines, parce que scolairement ça ne se passe pas terrible, alors que finalement ils ont tout un tas de potentiel mais qu’ils ne savent pas développer par eux-même ou bien tout un tas de centres d’intérêt qui leur permettront à court et moyen terme de pouvoir s’orienter vers des métiers qui finalement correspondent à ces centres d’intérêt-là mais pour lesquels ils ne pensaient pas pouvoir se destiner. Donc, il y a beaucoup aussi de travail sur l’auto-censure des élèves. Il y a un certain nombre de métiers qui leurs sont tout à fait destinés à partir du moment où ils ont la connaissance de ces métiers-là, ils ont également la connaissance, les capacités, du travail à accomplir pour y arriver. Notre objectif principal, c’est de faire en sorte que les élèves s’inscrivent dans une démarche d’orientation choisie, qu’ils soient acteurs de leur projet d’orientation. 

Comment ça fonctionne concrètement ? Alors concrètement, on a plusieurs types de programme, on a ce qu’on appelle les programmes classiques, c’est-à-dire les programmes qui sont aussi portés par d’autres structures associatives que nous : des interventions en classe de collaborateurs, des visites d’entreprises, des stages de plus ou moins longue durée. C’est des choses qu’on propose aux établissements qui nous contactent parce qu’ils souhaitent bénéficier de ces actions-là. Ça peut être aussi dans le cadre d’un partenariat au long cours avec les établissements. C’est le socle de notre travail.

Après, on a un certain nombre de programmes qui se déclinent au cas par cas, soit avec des entreprises, soit avec un certain nombre d’établissements qui se situent dans une zone géographique donnée. On a établi notamment un programme qui s’appelle les jumelages d’échanges solidaires, qui existent depuis 6 ans maintenant, qui fonctionne un peu sur le même modèle que les jumelages intercommunaux, c’est-à-dire qu’on associe un établissement scolaire, un collège et un lycée, à une structure d’entreprise qui se situe à proximité de l’établissement. On créé un partenariat sur le long terme qui est en fait articulé autour d’un binôme, un enseignant référent et un collaborateur référent, qui se rencontrent en début d’année scolaire, qui établissent un programme d’action, parmi ceux que j’ai évoqué juste avant, et les élèves de la classe ou de plusieurs classes de l’établissement, bénéficient de toutes ces actions.

Il y a la possibilité pour les enseignants, pour l’établissement, pour les collaborateurs, de renouveler tous les ans ce partenariat qui permet ensuite d’enrichir le dispositif de nouvelles actions ou d’en faire bénéficier de nouveau. C’est un de nos programmes spécifiques, on a une centaine de jumelages qui ont été mis en œuvre depuis 6 ans, avec tous les ans un petit questionnaire qu’on envoie des deux côtés du binôme, à l’enseignant et au collaborateur, pour savoir comment ça s’est passé, qu’est-ce qui pourrait être amélioré… C’est notre manière de mesurer l’efficience de ce partenariat-là.

Puis, en parallèle des jumelages, on a tout un tas de programmes spécifiques qu’on porte avec une ou plusieurs entreprises. On a notamment créé un programme autour de deux entreprises qui pour la première fois s’associent, dans le cadre d’un projet associatif, qui sont les groupes Coca et Carrefour, c’est-à-dire qu’on va développer l’idée de faire connaître à des élèves un certain nombre de métiers, au sein de ces deux groupes, mais à travers le prisme d’un produit que tous les élèves connaissent : la bouteille de coca.

On a proposé — c’est la 3e année, cette année — à un groupe d’élèves, d’une trentaine d’élèves, de suivre les différentes étapes du processus de création, de commercialisation et ensuite de recyclage de la bouteille de coca, mais en bénéficiant à chaque étape de la découverte de tous les métiers afférents à l’étape du jour. Donc il y a 6 étapes, avec des allers-retours entre Coca et Carrefour. La dernière étape, c’est le recyclage des produits coca et il y a un focus qui est fait sur le bien-fondé du recyclage, un focus sur les métiers de l’environnement, et puis l’ultime étape, c’est une restitution qui est faite en classe par les élèves, devant les collaborateurs qui les ont encadré durant le parcours.

Comment mesurez-vous l’impact de vos initiatives et qu’avez-vous observé ? On mesure par petites touches, c’est-à-dire en fonction des retours qu’on a du terrain : on peut mesurer si un élève a bénéficié de nos actions, a modifié ou non ses choix d’orientation. L’autre moyen, c’est de voir dans quelle mesure les enseignants inscrivent nos projets dans leur projet pédagogique. On se rend compte qu’il y a de plus en plus de place qui est faite à ces questions-là, de découverte des métiers. Et puis, de plus en plus à travers les stages de troisième, on se rend compte que c’est un premier moyen d’organiser une rencontre entre des collaborateurs et d’éventuel futurs collaborateurs.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez aujourd’hui ? Les difficultés qu’on rencontre, c’est plus au niveau de la temporalité entre le calendrier de l’Éducation nationale et celui des entreprises. Je vous donne un exemple sur les stages de 3e : on avait la possibilité d’offrir 3000 places de stage aux établissements avec lesquels on travaille. Plus de la moitié n’ont pas trouvé preneur parce que les fenêtres de stage ont lieu par exemple juste avant les fêtes de Noël, à un moment qui est notamment pour les entreprises de la grande distribution, totalement impossible d’accueillir des jeunes à ce moment-là. C’est dommage, il y a des rendez-vous manqués, alors que les entreprises jouent le jeu, mobilisent leurs collaborateurs en amont pour que le stage soit vraiment un stage de qualité pour les jeunes, et puis malheureusement pour des questions un peu pratiques, ça ne peut pas avoir lieu. Donc il y a un gros travail qui est fait en ce moment pour inciter les chefs d’établissement à mobiliser leurs enseignants sur la nécessité d’étaler cette semaine de stage sur l’année scolaire, donc c’est en train d’être fait.

Quelles sont les limites que vous avez pu observer à votre solution ?

Les limites, je dirai que c’est surtout des limites d’un point de vue financier. On pourrait faire beaucoup plus si on était beaucoup plus accompagné, notamment par l’État aujourd’hui. Parce que, clairement, l’État s’est désengagé depuis dix ans. Alors que ce qui fait la spécificité de notre structure c’est qu’on est co-administré par les services de l’État et par les entreprises. Les entreprises, elles, ont accentué leur effort en dix ans et l’état a fait l’inverse.