Le Slow Flower à la française

Lors de l’écriture de son livre, La tentation des fleurs — paru aux éditions Assouline en 2016 —, la journaliste* Sixtine Dubly cherche à savoir si le mouvement anglo-saxon Slow Flower a gagné l’hexagone. Elle rencontre Hélène Taquet, co-fondatrice de Popfleurs, l’École des fleurs, qui organise, entre autres, des ateliers en entreprise. Ensemble, elles ont l’idée de créer le Collectif de la fleur française en janvier 2017. Aujourd’hui, il se compose de presque cent horticulteurs et fleuristes.

Conversation avec l’une de ses instigatrices passionnée, Sixtine Dubly.

À quel problème vous attaquez-vous ?

On fait un constat assez simple. Aujourd’hui, plus de 80% des fleurs sont importées en France des Pays-Bas. Elles viennent de l’étranger où elles sont cultivées. Il y a une problématique écologique, à savoir que ces fleurs qui viennent d’Amérique du Sud ou d’Asie, sont transportées dans la journée, elles arrivent très tôt à la Bourse aux fleurs des Pays-Bas, — dont la superficie représente l’équivalent de dix terrains de football — et repartent dans la journée, parfois dans le même pays ou sur le même continent. Elles sont cultivées avec beaucoup de pesticides et dans de mauvaises conditions humaines.

Le mouvement Slow Flower rend hommage au mouvement Slow Food, donc c’est aussi une question de terre et de production non pas agricole mais horticole. On souhaite pouvoir consommer local, de saison et dans des valeurs qui sont les nôtres, plus respectables des droits sociaux. D’autre part, la France a perdu ce savoir-faire horticole. Il y a très peu de terres dédiées maintenant, même s’il y a très peu de chiffres ou d’études sur le sujet. S’il est dur de se prononcer, il y a quand même une perte des terres horticoles qui est significative, sinon il n’y aurait pas 80% de fleurs importées. Par exemple, dans les années 60, autour de l’Île de France, il y avait encore une centaine de rosiéristes. Aujourd’hui, il n’y en a même pas cinq. La pression immobilière, foncière, joue certes, mais c’est pareil dans toute la France.

Concernant l’utilisation des fleurs au XIXe siècle — on les trouvait dans le corset, à table, sur les calèches… — c’étaient des fleurs quotidiennes. En tout cas, il y avait un art de vivre extrêmement développé autour des fleurs. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui : on n’apporte même plus de bouquet quand on va dîner chez les gens, on apporte une bouteille de vin. Il y a donc une culture à la fois de la terre mais aussi une culture d’art de vivre qui s’est complètement perdue, et cette culture-là, c’est des emplois, c’est aussi la biodiversité, ce sont toutes ces fleurs qui ne sont pas cultivées et qui finissent par disparaître. Donc c’est également toute cette beauté, cette diversité qui est en jeu dans le Collectif.

Quelle solution proposez-vous ?

On fait comme nos amis anglo-saxons avec nos petits moyens, c’est-à-dire qu’on propose un annuaire et un mapping. On référence les personnes qui cultivent le plus possible des fleurs françaises, locales et de saison. On sait comment ils travaillent, on les connaît.

Comment ça fonctionne : c’est vous qui le faites ou l’on vous contacte ?

On nous contacte. Hélène étant horticultrice, elle connaît des gens par son travail. J’ai d’autres réseaux, et puis on croise tout ça et ils rentrent petit à petit. On va les voir régulièrement, notamment ceux qu’on ne connaît pas. Par exemple, récemment, on a été voir Masami Charlotte, première floricultrice à Paris intra-muros et qui a gagné le Parisculteurs. C’est une jeune femme d’une trentaine d’années qui s’est lancée il y a deux ans. Elle en est à sa deuxième récolte. Elle a 1200 mètres carré, des fleurs dans les hauteurs de Belleville et c’est elle qui nous a dit qu’elle voulait faire partie du Collectif. On a pas de label. Le Slow Flower, c’est un mouvement où les gens ont envie de faire de manière différente, d’appartenir à autre chose. On leur permet de se mettre en contact, d’avoir un réseau et d’échanger les bonnes pratiques. On essaye de mettre les gens ensemble pour qu’ils puissent partager des solutions ou en trouver.

Popfleurs – Hélène Taquet

Comment mesurez-vous l’impact des solutions que vous avez mises en place et qu’est-ce que vous observez ? Quels sont les retours que vous avez ?

Ce sont des retours 100% humain. Je suis étonnée du nombre de mails qu’on reçoit pour des conseils, pour se lancer… Il y a une demande et une envie. On sait bien maintenant que consommer est un acte politique, et donc que chacun est responsable de ses actes. Les gens ont envie de faire différemment, les consommateurs et les acteurs, horticulteurs, fleuristes. Je suis étonnée de voir qu’il y a une vraie prise de conscience là-dessus. Il y a aussi un relai médiatique important. C’était un sujet qui paraissait, il y encore deux trois ans, totalement anodin. Après, on a aucun autre moyen de mesure que ce que les gens nous disent.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez aujourd’hui ?

Ce sont des difficultés liées au fait que l’on n’a pas de moyens. C’est un vrai engagement, ça ne me rapporte rien et ça me prend beaucoup de temps. Et j’y crois, sinon je n’y passerai pas ce temps-là. On a plein d’idées de développements, de comment mieux faire connaître la cause, informer… Là je vous dis ça rapidement mais derrière il y a plein d’histoires humaines, il y a plein de possibilités et d’innovations. Les horticulteurs essayent de nouvelles méthodes de culture. Et, par exemple, qu’est-ce que c’est d’être horticulteur à Paris aujourd’hui quand on a trente ans, c’est une question super intéressante, sur cette nouvelle génération qui va réconcilier un peu l’urbanité et la nature.

Si vous aviez plus de moyens, vous aimeriez lancer un label ?

Je ne sais pas si le label est la version la plus intéressante, car il en existe déjà. Je trouve que notre richesse à nous, c’est vraiment la matière humaine, et ces valeurs. Les gens qui sont chez nous ne sont pas parfaits, on ne dit pas qu’ils sont 100% sans pesticides, mais il y a un vrai esprit, ils veulent faire différemment. Ces histoires sont intéressantes et inspirantes pour les gens. Quantifier en chiffres ou en label, c’est très bien pour les gens qui ont les moyens, mais nous, on est pas dans le système, on est collectif, on est associatif et on est surtout dans une mouvance émergente donc on fait avec la richesses qui est la nôtre. Par contre, si demain le ministère de l’Agriculture nous disait : on va vous aider, sur les chiffres par exemple, ce serait intéressant. Combien cultivent sans pesticides ? Quel est chiffre d’affaires réel des fleurs en France ? Ce sont des données qui n’existent pas. Aujourd’hui, tous ces labels, je trouve que ça ne dit rien, si vous allez chez un fleuriste, vous n’en voyez pas un, et s’il y en a un, il ne vous dit rien. Derrière, il n’y a jamais de fiche technique : qui fait quoi, etc.

Popfleurs – Hélène Taquet

Quelles sont les autres limites à votre solution ?

En ce qui concerne le mapping et le référencement, les gens viennent à nous, on les repère, mais bien sûr, on ne peut pas mailler le territoire en prenant un à un le numéro de tous les agriculteurs — dont certains ont une partie horticole par exemple, mais qui n’est pas déclarée comme telle, on ne sait même pas qu’ils sont des horticulteurs. Ce sont surtout des données qui nous manquent. Ensuite, c’est faire connaître la cause, au sens de raconter la manière dont les gens vivent ce métier d’horticulteur qui est assez menacé et qui est dur, comment ils s’en sortent. Car c’est un beau métier par ailleurs, c’est un métier magnifique. Il y a quand même un changement donc on espère qu’ils vont pouvoir en vivre, prendre soin de notre terre, développer des nouvelles variétés… Ces fleurs ont vocation à être utilisées par des chefs ou par des nezs.

*Sixtine Dubly a également été commissaire de l’exposition « Épiphyte, dialogue floral » qui a eu lieu en 2018 à la maison de vente aux enchères Artcurial. Elle prépare une autre exposition à Bordeaux, pour 2019.