La mode slow, éthique et stylée ?

Dans un secteur qui rapporte 150 milliards d’euros par an, difficile de chambouler les habitudes. C’est pourtant une nécessité pour l’industrie qui, après le pétrole, est la plus polluante du monde.

En termes de durabilité et d’action écologique, le secteur vestimentaire n’est pas exactement un modèle. Rien qu’en Europe, six millions de tonnes de textiles sont mises sur le marché chaque année et cinq millions de tonnes sont jetées, à l’état neuf ou usagé, ce qui place l’industrie textile au deuxième rang mondial des secteurs les plus polluants, après l’industrie pétrolière. Le consommateur français moyen achète 30 kg de textiles par an, dont seulement 2,5 kg seront recyclés in fine. Un faible pourcentage qui la classe pourtant à un niveau intermédiaire en Europe, entre les bons élèves nordiques et les pays du sud, qui véhiculent une image plus négative, entachée par les abus de produits chimiques dans le domaine agricole et l’exploitation de migrants dans les champs ou dans les usines textiles.

«Le consommateur achète avant tout un produit pour un bénéfice égoïste»

Sihem Dekhili, chercheuse française qui étudie depuis une dizaine d’années la consommation dite écologique, notamment dans la mode, note que « la France a un capital culturel important et spécifique, qui n’est pas toujours en adéquation avec le mouvement du développement durable, car la culture peut être une barrière aux pratiques responsables ». Son travail montre que les consommateurs parisiens ne sont pas friands de mode éthique. « Les gens nous disaient qu’ils trouvaient le produit moche, démodé, le confort et la qualité moindres, car il s’agissait d’un produit recyclé. C’était leur ressenti. »

Un problème majeur pour la mode, secteur dans lequel l’apparence et le confort comptent encore plus que d’habitude. « Le consommateur achète avant tout un produit pour un bénéfice égoïste, tourné vers soi. Quand il consomme, c’est pour renvoyer une image de soi, afficher un statut, paraître à la mode… » L’habit durable, mauvais argument marketing ? C’est en tout cas ce que semble penser la marque de baskets Veja, qui se targue avant tout de vendre des produits stylés, alors que son engagement écologique est fort.

Les Californiens de Patagonia, qui vendent des vêtements de surf et de sport de montagne, ont quant à eux lancé une campagne baptisée « buy less » (« achetez moins »), incitant le consommateur à acheter de façon rationnelle, réfléchie, en petite quantité mais de meilleure qualité.

En France, une mesure obligeant les marques à se rapprocher d’associations pour léguer leurs invendus vestimentaires est dans les tuyaux, bien que l’on attende toujours les annonces de Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique. Celles du premier ministre Edouard Philippe, qui souhaite que plus aucun vêtement ne soit «jeté ou éliminé» en 2019, semblent déjà vouées à ne rester qu’une vaste communication sans réelle ambition.

La slow fashion, une mode plus responsable

Ce qui n’empêche pas les marques de multiplier les initiatives, plus ou moins greenwashées, pour limiter les destructions de vêtements. En parallèle, le marché de l’occasion se développe, tout comme le troc et les dons.

Théorisée par l’influenceuse finlandaise Lidewij Edelkoort, la mode slow veut responsabiliser le consommateur, et limiter ses achats de nouvelles pièces. Et le mouvement ne se cantonne pas à l’achat d’occasion ou à l’échange, puisque tout une nouvelle génération de créateurs réutilisent des pièces de seconde main pour fabriquer des collections à haute valeur ajoutée. Baptisé «upcycling», ce courant créatif entend apporter à la mode éthique un marketing stylé qui lui manque pour convaincre au-delà du cercle militant. En dernier ressort, le don doit supplanter la poubelle ou le stockage infini, afin de réduire le volume des déchets, d’éviter de fabriquer des matières déjà disponibles, de créer de l’emploi et de redonner de la valeur à des vêtements voués à la destruction.

Acheter d’occasion, réutiliser les vieilles pièces pour en faire de nouvelles, fabriquer soi-même certains vêtements ou accessoires, donner plutôt que de jeter, limiter ses achats et sélectionner avec soin ses fabricants… Autant de réflexes à acquérir et de tendances à développer pour conduire la mode vers un usage respectueux des trois grands principes du mouvement slow : qualité du produit, protection de l’environnement et conditions équitables pour les producteurs.